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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/161

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ACTE III, SCÈNE IV.

Votre orgueil a son foible, et le mien, toujours fort,
Ne peut souffrir d’amour dans ce peu de rapport.
S’il vient de ressemblance, et que d’illustres flammes
Ne puissent que par elle unir les grandes âmes,
D’où naîtroit cet amour, quand je vois en tous lieux995
De plus dignes fiertés qui me ressemblent mieux ?

ATTILA.

Vous en voyez ici, Madame ; et je m’abuse,
Ou quelque autre me vole un cœur qu’on me refuse ;
Et cette noble ardeur de me désobéir
En garde la conquête à l’heureux Valamir.1000

HONORIE.

Ce n’est qu’à moi, Seigneur, que j’en dois rendre conte ;
Quand je voudrai l’aimer, je le pourrai sans honte :
Il est roi comme vous.

ATTILA.

Il est roi comme vous.En effet il est roi,
J’en demeure d’accord, mais non pas comme moi.
Même splendeur de sang, même titre nous pare ;1005
Mais de quelques degrés le pouvoir nous sépare ;
Et du trône où le ciel a voulu m’affermir,
C’est tomber d’assez haut que jusqu’à Valamir.
Chez ses propres sujets ce titre qu’il étale
Ne fait d’entre eux et moi que remplir l’intervalle ;1010
Il reçoit sous ce titre et leur porte mes lois ;
Et s’il est roi des Goths, je suis celui des rois[1].

HONORIE.

Et j’ai de quoi le mettre au-dessus de ta tête,
Sitôt que de ma main j’aurai fait sa conquête.
Tu n’as pour tout pouvoir[2] que des droits usurpés1015

  1. Attila est nommé ainsi dans Jornandès (de Getarum rebus gestis), chapitre xxxviii) : Attila rex omnium regum.
  2. Telle est la leçon des deux éditions antérieures à 1682. Celle-ci porte ton pouvoir, pour tout pouvoir, ainsi que l’édition de 1692. Voltaire a adopté comme nous la leçon primitive : tout.