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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/178

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ATTILA.

Il veut que je vous coûte ou la vie ou la gloire,
Et serve de prétexte au choix infortuné
D’assassiner vous-même ou d’être assassiné !
Il vous offre ma main comme un bonheur insigne,1405
Mais à condition de vous en rendre indigne ;
Et si vous refusez par là de m’acquérir,
Vous ne sauriez vous-même éviter de périr !

ARDARIC.

Il est beau de périr pour éviter un crime :
Quand on meurt pour sa gloire, on revit dans l’estime ;1410
Et triompher ainsi du plus rigoureux sort,
C’est s’immortaliser par une illustre mort.

ILDIONE.

Cette immortalité qui triomphe en idée
Veut être, pour charmer, de plus loin regardée ;
Et quand à notre amour ce triomphe est fatal,1415
La gloire qui le suit nous en console mal.

ARDARIC.

Vous vengerez ma mort, et mon âme ravie…

ILDIONE.

Ah ! venger une mort n’est pas rendre une vie :
Le tyran immolé me laisse mes malheurs ;
Et son sang répandu ne tarit pas mes pleurs.1420

ARDARIC.

Pour sauver une vie, après tout périssable,
En rendrois-je le reste infâme et détestable ?
Et ne vaut-il pas mieux assouvir sa fureur.
Et mériter vos pleurs, que de vous faire horreur ?

ILDIONE.

Vous m’en feriez sans doute, après cette infamie,1425
Assez pour vous traiter en mortelle ennemie ;
Mais souvent la fortune a d’heureux changements
Qui président sans nous aux grands événements.
Le ciel n’est pas toujours aux méchants si propice :