Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

TITE.

Domitie est le choix de Rome et de mon père :
Ils crurent à propos de l’ôter à mon frère,
985De crainte que ce cœur jeune et présomptueux
Ne rendît téméraire un prince impétueux.
Si pour vous obéir je lui suis infidèle,
Rome, qui l’a choisie, y consentira-t-elle ?

BÉRÉNICE.

Quoi ? Rome ne veut pas quand vous avez voulu ?
990Que faites-vous, Seigneur, du pouvoir absolu ?
N’êtes-vous dans ce trône, où tant de monde aspire,
Que pour assujettir l’Empereur à l’empire[1] ?
Sur ses plus hauts degrés Rome vous fait la loi !
Elle affermit ou rompt le don de votre foi !
995Ah ! si j’en puis juger sur ce qu’on voit paroître,
Vous en êtes l’esclave encor plus que le maître.

TITE.

Tel est le triste sort de ce rang souverain,
Qui ne dispense pas d’avoir un cœur romain ;
Ou plutôt des Romains tel est le dur caprice[2]
1000À suivre obstinément une aveugle injustice,

  1. On a rapproché de ce passage ce vers que dit Néron dans le Britannicus de Racine (publié en 1669) :
    Suis-je leur empereur seulement pour leur plaire ?
    (Acte IV, scène III.)
  2. Racine, dans sa Bérénice (acte II, scène ii), emploie le même mot :
    Rome ne l’attend Soit raison, soit caprice,
    Rome ne l’attend point pour son impératrice.
    Puis, quelques vers plus loin, il développe ainsi l’idée contenue dans les vers 1001 et 1002 de Corneille :
    D’ailleurs, vous le savez, en bannissant ses rois,
    Rome à ce nom, si noble et si saint autrefois,
    Attacha pour jamais une haine puissante ;
    Et quoiqu’à ses Césars fidèle, obéissante,
    Cette haine, Seigneur, reste de sa fierté
    Survit dans tous les cœurs après la liberté.