Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/254

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Qui rejetant d’un roi le nom plus que les lois,
Accepte un empereur plus puissant que cent rois.
C’est ce nom seul qui donne à leurs farouches haines
Cette invincible horreur qui passe jusqu’aux reines,
1005Jusques à leurs époux ; et vos yeux adorés
Verroient de notre hymen naître cent conjurés.
Encor s’il n’y falloit hasarder que ma vie ;
Si ma perte aussitôt de la vôtre suivie…

BÉRÉNICE.

Non, Seigneur, ce n’est pas aux reines comme moi
1010À hasarder leurs jours pour signaler leur foi.
La plus illustre ardeur de périr l’un pour l’autre
N’a rien de glorieux pour mon rang et le vôtre :
L’amour de nos pareils la traite de fureur,
Et ces vertus d’amant ne sont pas d’empereur.
1015Mes secours en Judée[1] achevèrent l’ouvrage
Qu’avoit des légions ébauché le suffrage :
Il m’est trop précieux pour le mettre au hasard ;
Et j’y pouvois, seigneur, mériter quelque part,
N’étoit qu’affermissant votre heureuse fortune,
1020Je n’ai fait qu’empêcher qu’elle nous fût commune.
Si j’eusse eu moins pour elle ou de zèle ou de foi,
Vous seriez moins puissant, mais vous seriez à moi ;
Vous n’auriez que le nom de général d’armée,
Mais j’aurois pour époux l’amant qui m’a charmée ;
1025Et je posséderois dans ma cour, en repos,
Au lieu d’un empereur, le plus grand des héros.

TITE.

Eh bien ! Madame, il faut renoncer à ce titre,
Qui de toute la terre en vain me fait l’arbitre.
Allons dans vos États m’en donner un plus doux ;
1030Ma gloire la plus haute est celle d’être à vous.

  1. Voyez ci-dessus, p. 232, note.