Comme nous devinons, vous pouvez deviner.
Qui devine est souvent sujet à se méprendre.
Et comme votre amour n’est que trop évident,
Si je n’en sais l’objet, j’en sais le confident.
Il est le plus coupable : un amant peut se taire ;
Mais d’un sujet au Roi, c’est crime qu’un mystère.
Qui connoît un obstacle au bonheur de l’État,
Tant qu’il le tient caché commet un attentat.
Ainsi ce confident… Vous m’entendez, Madame,
Et je vois dans les yeux ce qui se passe en l’âme.
S’il a ma confidence, il a mon amitié ;
Et je lui dois, Seigneur, du moins quelque pitié.
Ce sentiment est juste, et même je veux croire
Qu’un cœur comme le vôtre a droit d’en faire gloire ;
Mais ce trouble, Madame, et cette émotion,
N’ont-ils rien de plus fort que la compassion ?
Et quand de ses périls l’ombre vous intéresse,
Qu’une pitié si prompte en sa faveur vous presse,
Un si cher confident ne fait-il point douter
De l’amant ou de lui qui les peut exciter ?
Qu’importe ? et quel besoin de les confondre ensemble,
Quand ce n’est que pour vous, après tout, que je tremble ?
Quoi ? vous me menacez moi-même[1] à votre tour !
Et les emportements de votre aveugle amour…
- ↑ Voltaire (1764) a remplacé moi-même par vous-même.