Et j’ai lieu plus que vous d’être en inquiétude.
Je ne vous réponds point sur cet enlèvement :
Mon devoir, ma fierté, tout en moi le dément.
La plus haute vertu peut céder à la force,
Je le sais : de l’amour je sais quelle est l’amorce ;
Mais contre tous les deux l’orgueil peut secourir,
Et rien n’en est à craindre alors qu’on sait mourir.
Je ne serai qu’au prince.
À quand cet heureux jour, que de toute son âme…
Il se verroit, Seigneur, dès ce soir mon époux,
S’il n’eût point voulu voir dans mon cœur plus que vous :
Sa curiosité s’est trop embarrassée
D’un point dont il devoit éloigner sa pensée.
Il sait que j’aime ailleurs, et l’a voulu savoir :
Pour peine il attendra l’effort de mon devoir.
Les délais les plus longs, Madame, ont quelque terme.
Le devoir vient à bout de l’amour le plus ferme :
Les grands cœurs ont vers lui des retours éclatants ;
Et quand on veut se vaincre, il y faut peu de temps.
Un jour y peut beaucoup, une heure y peut suffire,
Un de ces bons moments qu’un cœur n’ose en dédire ;
S’il ne suit pas toujours nos souhaits et nos soins,
Il arrive souvent quand on l’attend le moins.
Mais je ne promets pas de m’y rendre facile,
Seigneur, tant que j’aurai l’âme si peu tranquille ;
Et je ne livrerai mon cœur qu’à mes ennuis,
Tant qu’on me laissera dans l’alarme où je suis.
Le sort de Suréna vous met donc en alarme.