Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/534

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EURYDICE.

1430Je vois ce que pour tous ses vertus ont de charme,
Et puis craindre pour lui ce qu’on voit craindre à tous,
Ou d’un maître en colère, ou d’un rival jaloux.
Ce n’est point toutefois l’amour qui m’intéresse,
C’est… Je crains encor plus que ce mot ne vous blesse,
1435Et qu’il ne vaille mieux s’en tenir à l’amour,
Que d’en mettre, et sitôt, le vrai sujet au jour.

ORODE.

Non, Madame, parlez, montrez toutes vos craintes :
Puis-je sans les connoître en guérir les atteintes,
Et dans l’épaisse nuit où vous vous retranchez,
1440Choisir le vrai remède aux maux que vous cachez ?

EURYDICE.

Mais si je vous disois que j’ai droit d’être en peine
Pour un trône où je dois un jour monter en reine ;
Que perdre Suréna, c’est livrer aux Romains
Un sceptre que son bras a remis en vos mains ;
1445Que c’est ressusciter l’orgueil de Mithradate,
Exposer avec vous Pacorus et Phradate[1] ;
Que je crains que sa mort, enlevant votre appui,
Vous renvoie à l’exil où vous seriez sans lui :
Seigneur, ce seroit être un peu trop téméraire.
1450J’ai dû le dire au prince, et je dois vous le taire ;
J’en dois craindre un trop long et trop juste courroux ;
Et l’amour trouvera plus de grâce chez vous.

ORODE.

Mais, Madame, est-ce à vous d’être si politique ?
Qui peut se taire ainsi, voyons comme il s’explique.
1455Si votre Suréna m’a rendu mes États,
Me les a-t-il rendus pour ne m’obéir pas ?
Et trouvez-vous par là sa valeur bien fondée

  1. Voyez ci-dessus, p. 498, notes des vers 856 et 857.