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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/537

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1510Vous m’aimez : ce n’est point non plus ce qui l’anime.
Mon crime véritable est d’avoir aujourd’hui
Plus de nom que mon roi, plus de vertu que lui ;
Et c’est de là que part cette secrète haine
Que le temps ne rendra que plus forte et plus pleine.
1515Plus on sert des ingrats, plus on s’en fait haïr :
Tout ce qu’on fait pour eux ne fait que nous trahir.
Mon visage l’offense, et ma gloire le blesse.
Jusqu’au fond de mon âme il cherche une bassesse,
Et tâche à s’ériger par l’offre ou par la peur,
1520De roi que je l’ai fait, en tyran de mon cœur ;
Comme si par ses dons il pouvoit me séduire,
Ou qu’il pût m’accabler, et ne se point détruire.
Je lui dois en sujet tout mon sang, tout mon bien ;
Mais si je lui dois tout, mon cœur ne lui doit rien,
1525Et n’en reçoit de lois que comme autant d’outrages,
Comme autant d’attentats sur de plus doux hommages.
Cependant pour jamais il faut nous séparer,
Madame.

EURYDICE.

Madame.Cet exil pourroit toujours durer ?

SURÉNA.

En vain pour mes pareils leur vertu sollicite :
1530Jamais un envieux ne pardonne au mérite.
Cet exil toutefois n’est pas un long malheur ;
Et je n’irai pas loin sans mourir de douleur.

EURYDICE.

Ah ! craignez de m’en voir assez persuadée
Pour mourir avant vous de cette seule idée.
Vivez, si vous m’aimez.

SURÉNA.

1535Vivez, si vous m’aimez.Je vivrois pour savoir
Que vous aurez enfin rempli votre devoir,
Que d’un cœur tout à moi, que de votre personne