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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/538

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Pacorus sera maître, ou plutôt sa couronne !
Ce penser m’assassine, et je cours de ce pas
1540Beaucoup moins à l’exil, Madame, qu’au trépas.

EURYDICE.

Que le ciel n’a-t-il mis en ma main et la vôtre,
Ou de n’être à personne, ou d’être l’un à l’autre !

SURÉNA.

Falloit-il que l’amour vît l’inégalité
Vous abandonner toute aux rigueurs d’un traité !

EURYDICE.

1545Cette inégalité me souffroit l’espérance.
Votre nom, vos vertus valoient bien ma naissance,
Et Crassus a rendu plus digne encor de moi
Un héros dont le zèle a rétabli son roi.
Dans les maux où j’ai vu l’Arménie exposée,
1550Mon pays désolé m’a seul tyrannisée.
Esclave de l’État, victime de la paix,
Je m’étois répondu de vaincre mes souhaits,
Sans songer qu’un amour comme le nôtre extrême
S’y rend inexorable aux yeux de ce qu’on aime.
1555Pour le bonheur public j’ai promis ; mais, hélas !
Quand j’ai promis, Seigneur, je ne vous voyois pas.
Votre rencontre ici m’ayant fait voir ma faute,
Je diffère à donner le bien que je vous ôte ;
Et l’unique bonheur que j’y puis espérer,
1560C’est de toujours promettre et toujours différer.

SURÉNA.

Que je serois heureux ! Mais qu’osai-je vous dire ?
L’indigne et vain bonheur où mon amour aspire !
Fermez les yeux aux maux où l’on me fait courir :
Songez à vivre heureuse, et me laissez mourir.
1565Un trône vous attend, le premier de la terre,
Un trône où l’on ne craint que l’éclat du tonnerre,
Qui règle le destin du reste des humains,