Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/101

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Clarice, à Chrysante.

N’usez point de ce mot vers celle dont l’envie

Est de vous obéir le reste de sa vie,

Que son retour rend moins à soi-même qu’à vous.

Ce brave cavalier accepté pour époux,

C’est à moi désormais, entrant dans sa famille,

À vous rendre un devoir de servante et de fille ;

Heureuse mille fois, si le peu que je vaux

Ne vous empêche point d’excuser mes défauts,

Et si votre bonté d’un tel choix se contente !

Chrysante, à Clarice.

Dans ce bien excessif, qui passe mon attente,

Je soupçonne mes sens d’une infidélité,

Tant ma raison s’oppose à ma crédulité.

Surprise que je suis d’une telle merveille,

Mon esprit tout confus doute encor si je veille ;

Mon âme en est ravie, et ces ravissements

M’ôtent la liberté de tous remerciements.

Doris, à Clarice.

Souffrez qu’en ce bonheur mon zèle m’enhardisse

À vous offrir, madame, un fidèle service.

Clarice, à Doris.

Et moi, sans compliment qui vous farde mon cœur,

Je vous offre et demande une amitié de sœur.

Philiste, à Célidan.

Toi, sans qui mon malheur était inconsolable,

Ma douleur sans espoir, ma perte irréparable,

Qui m’as seul obligé plus que tous mes amis,

Puisque je te dois tout, que je t’ai tout promis,

Cesse de me tenir dedans l’incertitude :

Dis-moi par où je puis sortir d’ingratitude ;

Donne-moi le moyen, après un tel bienfait,

De réduire pour toi ma parole en effet.

Célidan, à Philiste.

S’il est vrai que ta flamme et celle de Clarice

Doivent leur bonne issue à mon peu de service,

Qu’un bon succès par moi réponde à tous vos vœux,

J’ose t’en demander un pareil à mes feux.

(Montrant Chrysante.)

J’ose te demander, sous l’aveu de Madame,

Ce digne et seul objet de ma secrète flamme,

Cette sœur que j’adore, et qui pour faire un choix

Attend de ton vouloir les favorables lois.

Philiste, à Célidan.

Ta demande m’étonne ensemble et m’embarrasse :

Sur ton meilleur ami tu brigues cette place,

Et tu sais que ma foi la réserve pour lui.

Chrysante, à Philiste.

Si tu n’as entrepris de m’accabler d’ennui,

Ne te fais point ingrat pour une âme si double.

Philiste, à Célidan.

Mon esprit divisé de plus en plus se trouble ;

Dispense-moi, de grâce, et songe qu’avant toi

Ce bizarre Alcidon tient en gage ma foi.

Si ton amour est grand, l’excuse t’est sensible ;

Mais je ne t’ai promis que ce qui m’est possible ;

Et cette foi donnée ôte de mon pouvoir

Ce qu’à notre amitié je me sais trop devoir.

Chrysante, à Philiste.

Ne te ressouviens plus d’une vieille promesse ;

Et juge, en regardant cette belle maîtresse,

Si celui qui pour toi l’ôte à son ravisseur

N’a pas bien mérité l’échange de ta sœur.

Clarice, à Chrysante.

Je ne saurais souffrir qu’en ma présence on die

Qu’il doive m’acquérir par une perfidie ;

Et pour un tel ami lui voir si peu de foi

Me ferait redouter qu’il en eût moins pour moi.

Mais Alcidon survient ; nous l’allons voir lui-même

Contre un rival et vous disputer ce qu’il aime.

Scène IX

Clarice, Alcidon, Philiste, Chrysante, Célidan, Doris

Clarice, à Alcidon.

Mon abord t’a surpris, tu changes de couleur ;

Tu me croyais sans doute encor dans le malheur :

Voici qui m’en délivre ; et n’était que Philiste

À ses nouveaux desseins en ta faveur résiste,

Cet ami si parfait qu’entre tous tu chéris

T’aurait pour récompense enlevé ta Doris.

Alcidon

Le désordre éclatant qu’on voit sur mon visage

N’est que l’effet trop prompt d’une soudaine rage.

Je forcène de voir que sur votre retour

Ce traître assure ainsi ma perte et son amour.

Perfide ! à mes dépens tu veux donc des maîtresses,

Et mon honneur perdu te gagne leurs caresses ?

Célidan, à Alcidon.

Quoi ! j’ai su jusqu’ici cacher tes lâchetés,

Et tu m’oses couvrir de ces indignités !

Cesse de m’outrager, ou le respect des dames

N’est plus pour contenir celui que tu diffames.

Philiste, à Alcidon.

Cher ami, ne crains rien, et demeure assuré

Que je sais maintenir ce que je t’ai juré :

Pour t’enlever ma sœur, il faut m’arracher l’âme.

Alcidon, à Philiste.

Non, non, il n’est plus temps de déguiser ma flamme.

Il te faut, malgré moi, faire un honteux aveu

Que si mon cœur brûlait, c’était d’un autre feu.

Ami, ne cherche plus qui t’a ravi Clarice :

(Il se montre.)

Voici l’auteur du coup, (Il montre Célidan.)

et voilà le complice.

(A Philiste.)

Adieu. Ce mot lâché, je te suis en horreur.

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