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Scène X=

Chrysante, Clarice, Philiste, Célidan, Doris

Chrysante, à Philiste.

Eh bien ! rebelle, enfin sortiras-tu d’erreur ?

Célidan, à Philiste.

Puisque son désespoir vous découvre un mystère

Que ma discrétion vous avait voulu taire,

C’est à moi de montrer quel était mon dessein.

Il est vrai qu’en ce coup je lui prêtai la main :

La peur que j’eus alors qu’après ma résistance

Il ne trouvât ailleurs trop fidèle assistance…

Philiste, à Célidan.

Quittons là ce discours, puisqu’en cette action

La fin m’éclaircit trop de ton intention,

Et ta sincérité se fait assez connaître.

Je m’obstinais tantôt dans le parti d’un traître ;

Mais au lieu d’affaiblir vers toi mon amitié,

Un tel aveuglement te doit faire pitié.

Plains-moi, plains mon malheur, plains mon trop de franchise,

Qu’un ami déloyal a tellement surprise ;

Vois par là comme j’aime, et ne te souviens plus

Que j’ai voulu te faire un injuste refus.

Fais, malgré mon erreur, que ton feu persévère ;

Ne punis point la sœur de la faute du frère ;

Et reçois de ma main celle que ton désir,

Avant mon imprudence, avait daigné choisir.

Clarice, à Célidan.

Une pareille erreur me rend toute confuse ;

Mais ici mon amour me servira d’excuse ;

Il serre nos esprits d’un trop étroit lien

Pour permettre à mon sens de s’éloigner du sien.

Célidan

Si vous croyez encor que cette erreur me touche,

Un mot me satisfait de cette belle bouche ;

Mais, hélas ! quel espoir ose rien présumer,

Quand on n’a pu servir, et qu’on n’a fait qu’aimer ?

Doris

Réunir les esprits d’une mère et d’un frère,

Du choix qu’ils m’avaient fait avoir su me défaire,

M’arracher à Florange et m’ôter Alcidon,

Et d’un cœur généreux me faire l’heureux don,

C’est avoir su me rendre un assez grand service

Pour espérer beaucoup avec quelque justice.

Et, puisqu’on me l’ordonne, on peut vous assurer

Qu’alors que j’obéis, c’est sans en murmurer.

Célidan

À ces mots enchanteurs tout mon cœur se déploie,

Et s’ouvre tout entier à l’excès de ma joie.

Chrisante

Que la mienne est extrême ! et que sur mes vieux ans

Le favorable ciel me fait de doux présents !

Qu’il conduit mon bonheur par un ressort étrange !

Qu’à propos sa faveur m’a fait perdre Florange !

Puisse-t-elle, pour comble, accorder à mes vœux

Qu’une éternelle paix suive de si beaux nœuds,

Et rendre par les fruits de ce double hyménée

Ma dernière vieillesse à jamais fortunée !

Clarice, à Chrysante.

Cependant pour ce soir ne me refusez pas

L’heur de vous voir ici prendre un mauvais repas,

Afin qu’à ce qui reste ensemble on se prépare,

Tant qu’un mystère saint deux à deux nous sépare.

Chrysante, à Clarice.

Nous éloigner de vous avant ce doux moment,

Ce serait me priver de tout contentement.