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Alcandre.

Hélas ! mon fils est mort.Que vous avez d’alarmes !

Pridamant.

Ne lui refusez point le secours de vos charmes.

Alcandre.

Un peu de patience, et, sans un tel secours,
Vous le verrez bientôt heureux en ses amours.


ACTE QUATRIÈME


Scène première

ISABELLE.

Enfin le terme approche ; un jugement inique
Doit abuser demain d’un pouvoir tyrannique,
À son propre assassin immoler mon amant,
Et faire une vengeance au lieu d’un châtiment.
Par un décret injuste autant comme sévère,
Demain doit triompher la haine de mon père,
La faveur du pays, la qualité du mort,
Le malheur d’Isabelle, et la rigueur du sort.
Hélas ! que d’ennemis, et de quelle puissance,
Contre le faible appui que donne l’innocence,
Contre un pauvre inconnu, de qui tout le forfait
Est de m’avoir aimée, et d’être trop parfait !
Oui, Clindor, tes vertus et ton feu légitime,
T’ayant acquis mon cœur, ont fait aussi ton crime.
Mais en vain après toi l’on me laisse le jour ;
Je veux perdre la vie en perdant mon amour :
Prononçant ton arrêt, c’est de moi qu’on dispose ;
Je veux suivre ta mort, puisque j’en suis la cause,
Et le même moment verra par deux trépas
Nos esprits amoureux se rejoindre là-bas.
Ainsi, père inhumain, ta cruauté déçue
De nos saintes ardeurs verra l’heureuse issue ;
Et si ma perte alors fait naître tes douleurs,
Auprès de mon amant je rirai de tes pleurs.
Ce qu’un remords cuisant te coûtera de larmes
D’un si doux entretien augmentera les charmes ;
Ou s’il n’a pas assez de quoi te tourmenter,
Mon ombre chaque jour viendra t’épouvanter,
S’attacher à tes pas dans l’horreur des ténèbres,
Présenter à tes yeux mille images funèbres,
Jeter dans ton esprit un éternel effroi,
Te reprocher ma mort, t’appeler après moi,
Accabler de malheurs ta languissante vie,
Et te réduire au point de me porter envie.
Enfin…


Scène II

ISABELLE, LYSE.
Lyse.

Enfin…Quoi ! chacun dort, et vous êtes ici ?
Je vous jure, monsieur en est en grand souci.

Isabelle.

Quand on n’a plus d’espoir, Lyse, on n’a plus de crainte.
Je trouve des douceurs à faire ici ma plainte.
Ici je vis Clindor pour la dernière fois ;
Ce lieu me redit mieux les accents de sa voix,
Et remet plus avant en mon âme éperdue
L’aimable souvenir d’une si chère vue.

Lyse.

Que vous prenez de peine à grossir vos ennuis !

Isabelle.

Que veux-tu que je fasse en l’état où je suis ?

Lyse.

De deux amants parfaits dont vous étiez servie,
L’un doit mourir demain, l’autre est déjà sans vie :
Sans perdre plus de temps à soupirer pour eux,
Il en faut trouver un qui les vaille tous deux.

Isabelle.

De quel front oses-tu me tenir ces paroles ?

Lyse.

Quel fruit espérez-vous de vos douleurs frivoles ?
Pensez-vous, pour pleurer et tenir vos appas,
Rappeler votre amant des portes du trépas ?
Songez plutôt à faire une illustre conquête ;
Je sais pour vos liens une âme toute prête,
Un homme incomparable.

Isabelle.

Un homme incomparable.Ôte-toi de mes yeux.

Lyse.

Le meilleur jugement ne choisirait pas mieux.

Isabelle.

Pour croître mes douleurs faut-il que je te voie ?

Lyse.

Et faut-il qu’à vos yeux je déguise ma joie ?

Isabelle.

D’où te vient cette joie ainsi hors de saison ?

Lyse.

Quand je vous l’aurai dit, jugez si j’ai raison.

Isabelle.

Ah ! ne me conte rien.

Lyse.

Ah ! ne me conte rien.Mais l’affaire vous touche.

Isabelle.

Parle-moi de Clindor, ou n’ouvre point la bouche.

Lyse.

Ma belle humeur, qui rit au milieu des malheurs,
Fait plus en un moment qu’un siècle de vos pleurs ;
Elle a sauvé Clindor.

Isabelle.

Elle a sauvé Clindor.Sauvé Clindor ?