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Nous ne nous garderions jamais de babiller.

Isabelle.

Folle, tu ris toujours.

Lyse.

Folle, tu ris toujours.De peur d’une surprise,
Je dois attendre ici le chef de l’entreprise ;
S’il tardait à la rue, il serait reconnu ;
Nous vous irons trouver dès qu’il sera venu.
C’est là sans raillerie…

Isabelle.

C’est là sans raillerie…Adieu donc. Je te laisse,
Et consens que tu sois aujourd’hui la maîtresse.

Lyse.

C’est du moins…

Isabelle.

C’est du moins…Fais bon guet.

Lyse.

C’est du moins… Fais bon guet.Vous, faites bon butin.


Scène III

LYSE.

Ainsi, Clindor, je fais moi seule ton destin ;
Des fers où je t’ai mis c’est moi qui te délivre,
Et te puis, à mon choix, faire mourir ou vivre.
On me vengeait de toi par-delà mes désirs ;
Je n’avais de dessein que contre tes plaisirs.
Ton sort trop rigoureux m’a fait changer d’envie ;
Je te veux assurer tes plaisirs et ta vie ;
Et mon amour éteint, te voyant en danger,
Renaît pour m’avertir que c’est trop me venger.
J’espère aussi, Clindor, que, pour reconnaissance,
De ton ingrat amour étouffant la licence…


Scène IV

MATAMORE, ISABELLE, LYSE.
Isabelle.

Quoi ! chez nous, et de nuit !

Matamore.

Quoi ! chez nous, et de nuit !L’autre jour…

Isabelle.

Quoi ! chez nous, et de nuit ! L’autre jour…Qu’est ceci,
L’autre jour ? est-il temps que je vous trouve ici ?

Lyse.

C’est ce grand capitaine. Où s’est-il laissé prendre ?

Isabelle.

En montant l’escalier je l’en ai vu descendre.

Matamore.

L’autre jour, au défaut de mon affection,
J’assurai vos appas de ma protection.

Isabelle.

Après ?

Matamore.

Après ?On vint ici faire une brouillerie ;
Vous rentrâtes voyant cette forfanterie ;
Et, pour vous protéger, je vous suivis soudain.

Isabelle.

Votre valeur prit lors un généreux dessein.
Depuis ?

Matamore.

Depuis ?Pour conserver une dame si belle,
Au plus haut du logis j’ai fait la sentinelle.

Isabelle.

Sans sortir ?

Matamore.

Sans sortir ?Sans sortir.

Lyse.

Sans sortir ? Sans sortir.C’est-à-dire, en deux mots,
Que la peur l’enfermait dans la chambre aux fagots.

Matamore.

La peur ?

Lyse.

La peur ?Oui, vous tremblez ; la vôtre est sans égale.

Matamore.

Parce qu’elle a bon pas, j’en fais mon Bucéphale ;
Lorsque je la domptai, je lui fis cette loi ;
Et depuis, quand je marche, elle tremble sous moi.

Lyse.

Votre caprice est rare à choisir des montures.

Matamore.

C’est pour aller plus vite aux grandes aventures.

Isabelle.

Vous en exploitez bien : mais changeons de discours
Vous avez demeuré là-dedans quatre jours ?

Matamore.

Quatre jours.

Isabelle.

Quatre jours.Et vécu ?

Matamore.

Quatre jours. Et vécu ?De nectar, d’ambrosie[1].

Lyse.

Je crois que cette viande aisément rassasie ?

Matamore.

Aucunement.

Isabelle.

Aucunement.Enfin vous étiez descendu…

Matamore.

Pour faire qu’un amant en vos bras fût rendu,
Pour rompre sa prison, en fracasser les portes,
Et briser en morceaux ses chaînes les plus fortes.

  1. L’orthographe de ce mot n’était pas encore fixée. Dans la première édition Corneille avait écrit ambroisie, et dans la dernière il l’a corrigé tel qu’il est ici : peut-être a-t-il voulu se rapprocher de l’étymologie. Quoi qu’il en soit, ambroisie a prévalu.