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Isabelle.

Quoi ! Lyse est donc la sienne ?Écoutez le discours
De votre liberté qu’ont produit leurs amours.

Le Geôlier.

En lieu de sûreté le babil est de mise,
Mais ici ne songeons qu’à nous ôter de prise.

Isabelle.

Sauvons-nous : mais avant, promettez-nous tous deux
Jusqu’au jour d’un hymen de modérer vos feux :
Autrement, nous rentrons.

Clindor.

Autrement, nous rentrons.Que cela ne vous tienne,
Je vous donne ma foi.

Le Geôlier.

Je vous donne ma foi.Lyse, reçois la mienne.

Isabelle.

Sur un gage si beau j’ose tout hasarder.

Le Geôlier.

Nous nous amusons trop, il est temps d’évader.


Scène X

ALCANDRE, PRIDAMANT.
Alcandre.

Ne craignez plus pour eux ni périls ni disgrâces !
Beaucoup les poursuivront, mais sans trouver leurs traces.

Pridamant.

À la fin je respire.

Alcandre.

À la fin je respire.Après un tel bonheur,
Deux ans les ont montés en haut degré d’honneur.
Je ne vous dirai point le cours de leurs voyages,
S’ils ont trouvé le calme, ou vaincu les orages,
Ni par quel art non plus ils se sont élevés ;
Il suffit d’avoir vu comme ils se sont sauvés,
Et que, sans vous en faire une histoire importune,
Je vous les vais montrer en leur haute fortune.
Mais puisqu’il faut passer à des effets plus beaux,
Rentrons pour évoquer des fantômes nouveaux !
Ceux que vous avez vus représenter de suite
À vos yeux étonnés leur amour et leur fuite,
N’étant pas destinés aux hautes fonctions,
N’ont point assez d’éclat pour leurs conditions.


ACTE CINQUIÈME


Scène première

ALCANDRE, PRIDAMANT.
Pridamant.

Qu’Isabelle est changée et qu’elle est éclatante !

Alcandre.

Lyse marche après elle, et lui sert de suivante ;
Mais derechef surtout n’ayez aucun effroi,
Et de ce lieu fatal ne sortez qu’après moi ;
Je vous le dis encore, il y va de la vie.

Pridamant.

Cette condition m’en ôte assez l’envie.


Scène II

ISABELLE, représentant Hippolyte ; LYSE, représentant Clarine.
Lyse.

Ce divertissement n’aura-t-il point de fin ?
Et voulez-vous passer la nuit dans ce jardin ?

Isabelle.

Je ne puis plus cacher le sujet qui m’amène ;
C’est grossir mes douleurs que de taire ma peine.
Le prince Florilame…

Lyse.

Le prince Florilame…Eh bien, il est absent.

Isabelle.

C’est la source des maux que mon âme ressent ;
Nous sommes ses voisins, et l’amour qu’il nous porte
Dedans son grand jardin nous permet cette porte.
La princesse Rosine, et mon perfide époux,
Durant qu’il est absent, en font leur rendez-vous :
Je l’attends au passage, et lui ferai connaître
Que je ne suis pas femme à rien souffrir d’un traître.

Lyse.

Madame, croyez-moi, loin de le quereller,
Vous ferez beaucoup mieux de tout dissimuler.
Il nous vient peu de fruit de telles jalousies ;
Un homme en court plus tôt après ses fantaisies ;
Il est toujours le maître, et tout notre discours,
Par un contraire effet l’obstine en ses amours.

Isabelle.

Je dissimulerai son adultère flamme !
Une autre aura son cœur, et moi le nom de femme !
Sans crime, d’un hymen peut-il rompre la loi ?
Et ne rougit-il point d’avoir si peu de foi ?

Lyse.

Cela fut bon jadis ; mais au temps où nous sommes,
Ni l’hymen ni la foi n’obligent plus les hommes ;
Leur gloire a son brillant et ses règles à part ;
Où la nôtre se perd, la leur est sans hasard ;
Elle croît aux dépens de nos lâches faiblesses ;
L’honneur d’un galant homme est d’avoir des maîtresses.

Isabelle.

Ôte-moi cet honneur et cette vanité,
De se mettre en crédit par l’infidélité.
Si, pour haïr le change et vivre sans amie,
Un homme tel que lui tombe dans l’infamie,