Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/478

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manqué,

Sa tête fut proscrite, et son bien confisqué ;

On vit à Marcellin sa dépouille donnée ;

Il sut la racheter par ce triste hyménée,

Et forçant son grand cœur à ce honteux lien,

Lui-même il se livra pour rançon de son bien.

Dès lors, on asservit jusques à mon enfance :

De Flavie avec moi on conclut l’alliance,

Et depuis ce moment Marcelle a fait chez nous

Un destin que tout autre aurait trouvé fort doux.

La dignité du fils, comme celle du père,

Descend du haut pouvoir que lui donne ce frère.

Mais, à la regarder de l’œil dont je la voi,

Ce n’est qu’un joug pompeux qu’on veut jeter sur moi :

On élève chez nous un trône pour sa fille ;

On y sème l’éclat dont on veut qu’elle brille,

Et dans tous ces honneurs je ne vois en effet

Qu’un infâme dépôt des présents qu’on lui fait.

Cléobule

S’ils ne sont qu’un dépôt du bien qu’on lui veut faire,

Vous en êtes, Seigneur, mauvais dépositaire,

Puisque avec tant d’effort on vous voit travailler

À mettre ailleurs l’éclat dont elle doit briller :

Vous aimez Théodore, et votre âme ravie

Lui veut donner ce trône élevé pour Flavie ;

C’est là le fondement de votre aversion.

Placide

Ce n’est point un secret que cette passion :

Flavie, au lit, malade, en meurt de jalousie,

Et, dans l’âpre dépit dont sa mère est saisie,

Elle tonne, foudroie, et, pleine de fureur,

Menace de tout perdre auprès de l’empereur.

Comme de ses faveurs, je ris de sa colère :

Quoi qu’elle ait fait pour moi, quoi qu’elle puisse faire,

Le passé sur mon cœur ne peut rien obtenir,

Et je laisse au hasard le soin de l’avenir.

Je me plais à braver cet orgueilleux courage :

Chaque jour pour l’aigrir je vais jusqu’à l’outrage ;

Son âme impérieuse et prompte à fulminer

Ne saurait me haïr jusqu’à m’abandonner.

Souvent elle me flatte alors que je l’offense,

Et, quand je l’ai poussée à quelque violence,

L’amour de sa Flavie en rompt tous les effets

Et l’éclat s’en termine à de nouveaux bienfaits.

Je la plains toutefois, et, plus à plaindre qu’elle,

Comme elle aime un ingrat, j’adore une cruelle,

Dont la rigueur la venge, et, rejetant ma foi,

Me rend tous les mépris que Flavie a de moi.

Mon sort des deux côtés mérite qu’on le plaigne :

L’une me persécute, et l’autre me dédaigne ;

Je hais qui m’idolâtre, et j’aime qui me fuit,

Et je poursuis en vain, ainsi qu’on me poursuit.

Telle est de mon destin la fatale injustice ;

Telle est la tyrannie ensemble et le caprice

Du démon aveuglé qui, sans discrétion,

Verse l’antipathie et l’inclination.

Mais puisqu’à d’autres yeux je parais trop aimable,

Que peut voir Théodore en moi de méprisable ?

Sans doute, elle aime ailleurs, et s’impute à bonheur

De préférer Didyme au fils du gouverneur !

Cléobule

Comme elle je suis né, Seigneur, dans Antioche,

Et par les droits du sang je lui suis assez proche.

Je connais son courage, et vous répondrais bien

Qu’étant sourde à vos vœux elle n’écoute rien,

Et que cette rigueur dont votre amour l’accuse

Ne donne point ailleurs ce qu’elle vous refuse :

Ce malheureux rival, dont vous êtes jaloux,

En reçoit chaque jour plus de mépris que vous.

Mais quand même ses feux répondraient à vos flammes,

Qu’une amour mutuelle unirait vos deux âmes,

Voyez où cette amour vous peut précipiter,

Quel orage sur vous elle doit exciter,

Ce que dira Valens, ce que fera Marcelle.

Souffrez que son parent vous dise enfin pour elle…

Placide

Ah ! Si je puis encor quelque chose sur toi,

Ne me dis rien pour elle, et dis-lui tout pour moi :

Dis-lui que je suis sûr des bontés de mon père,