Ou que, s’il se rendait d’une humeur trop sévère,
L’Égypte où l’on m’envoie est un asile ouvert
Pour mettre notre flamme et notre heur à couvert ;
Là, saisis d’un rayon des puissances suprêmes,
Nous ne recevrons plus de lois que de nous-mêmes ;
Quelques noires vapeurs que puissent concevoir
Et la mère et la fille ensemble au désespoir,
Tout ce qu’elles pourront enfanter de tempêtes
Sans venir jusqu’à nous crèvera sur leurs têtes,
Et nous érigerons en cet heureux séjour
De leur rage impuissante un trophée à l’amour.
Parle, parle pour moi, presse, agis, persuade,
Fais quelque chose enfin pour mon esprit malade,
Fais-lui voir mon pouvoir, fais-lui voir mon ardeur :
Son dédain est peut-être un effet de sa peur,
Et, si tu lui pouvais arracher cette crainte,
Tu pourrais dissiper cette froideur contrainte ;
Tu pourrais… Mais je vois Marcelle qui survient.
Scène II
Marcelle, Placide, Cléobule, Stéphanie
Marcelle
Ce mauvais conseiller toujours vous entretient ?
Placide
Vous dites vrai, Madame : il tâche à me surprendre ;
Son conseil est mauvais, mais je sais m’en défendre.
Marcelle
Il vous parle d’aimer ?
Placide
Contre mon sentiment.
Marcelle
Levez, levez le masque, et parlez franchement.
De votre Théodore il est l’agent fidèle :
Pour vous mieux engager elle fait la cruelle,
Vous chasse en apparence, et, pour vous retenir,
Par ce parent adroit vous fait entretenir.
Placide
Par ce fidèle agent elle est donc mal servie :
Loin de parler pour elle, il parle pour Flavie,
Et ce parent adroit en matière d’amour
Agit contre son sang pour mieux faire sa cour.
C’est, Madame, en effet, le mal qu’il me conseille ;
Mais j’ai le cœur trop bon pour lui prêter l’oreille.
Marcelle
Dites le cœur trop bas pour aimer en bon lieu.
Placide
L’objet où vont mes vœux serait digne d’un dieu.
Marcelle
Il est digne de vous, d’une âme vile et basse.
Placide
Je fais donc seulement ce qu’il faut que je fasse.
Ne blâmer que Flavie : un cœur si bien placé
D’une âme vile et basse est trop embarrassé ;
D’un choix qui lui fait honte il faut qu’elle s’irrite,
Et me prive d’un bien qui passe mon mérite.
Marcelle
Avec quelle arrogance osez-vous me parler ?
Placide
Au-dessous de Flavie ainsi me ravaler,
C’est de cette arrogance un mauvais témoignage.
Je ne me puis, Madame, abaisser davantage.
Marcelle
Votre respect est rare, et fait voir clairement
Que votre humeur modeste aime l’abaissement.
Eh bien ! Puisqu’à présent j’en suis mieux avertie,
Il faudra satisfaire à cette modestie :
Avec un peu de temps nous en viendrons à bout.
Placide
Vous ne m’ôterez rien, puisque je vous dois tout :
Qui n’a que ce qu’il doit a peu de perte à faire.
Marcelle
Vous pourrez bientôt prendre un sentiment contraire.
Placide
Je n’en changerai point pour la perte d’un bien
Qui me rendra celui de ne vous devoir rien.
Marcelle
Ainsi l’ingratitude en soi-même se flatte.
Mais je saurai punir cette âme trop ingrate,
Et, pour mieux abaisser vos esprits soulevés,
Je vous ôterai plus que vous ne me devez.
Placide
La menace est obscure ; expliquez-la, de grâce.
Marcelle
L’effet expliquera le sens de la menace.
Tandis, souvenez-vous, malgré tous vos mépris,
Que j’ai fait ce que sont et le père et le fils :
Vous me devez l’Égypte, et Valens Antioche.
Placide
Nous ne vous devons rien après un tel reproche :
Un bienfait perd sa grâce à le trop publier ;
Qui veut qu’on s’en souvienne, il le doit oublier.
Marcelle
Je l’oublierais, ingrat, si, pour tant de puissance,
Je recevais de vous quelque reconnaissance.
Placide
Et je m’en souviendrais jusqu’aux dernier