Théodore
Le Dieu que j’ai juré connaît tout, entend tout ;
Il remplit l’univers de l’un à l’autre bout ;
Sa grandeur est sans borne ainsi que sans exemple ;
Il n’est pas moins ici qu’au milieu de son temple,
Et ne m’entend pas mieux dans son temple qu’ici.
Marcelle
S’il vous entend partout, je vous entends aussi :
On ne m’éblouit point d’une mauvaise ruse ;
Suivez-moi dans le temple, et tôt, et sans excuse.
Théodore
Votre cœur soupçonneux ne m’y croirait non plus
Et je vous y ferais des serments superflus
Marcelle
Vous désobéissez ?
Théodore
Je crois vous satisfaire.
Marcelle
Suivez, suivez mes pas !
Théodore
Ce serait vous déplaire :
Vos desseins d’autant plus en seraient reculés ;
Ma désobéissance est ce que vous voulez.
Il faut de deux raisons que l’une vous retienne :
Ou vous aimez Placide, ou vous êtes chrétienne.
Théodore
Oui, je la suis, Madame, et le tiens à plus d’heur
Qu’une autre ne tiendrait toute votre grandeur.
Je vois qu’on vous l’a dit, ne cherchez plus de ruse :
J’avoue, et hautement, et tôt, et sans excuse.
Armez-vous à ma perte, éclatez, vengez-vous,
Par ma mort à Flavie assurez un époux,
Et noyez dans ce sang, dont vous êtes avide,
Et le mal qui la tue, et l’amour de Placide.
Marcelle
Oui, pour vous punir je n’épargnerai rien,
Et l’intérêt des dieux assurera le mien.
Théodore
Le vôtre en même temps assurera ma gloire :
Triomphant de ma vie, il fera ma victoire,
Mais si grande, si haute, et si pleine d’appas,
Qu’à ce prix j’aimerai les plus cruels trépas.
Marcelle
De cette illusion soyez persuadée :
Périssant à mes yeux, triomphez en idée ;
Goûtez d’un autre monde à loisir les appas,
Et devenez heureuse où je ne serai pas.
Je n’en suis point jalouse, et toute ma puissance
Vous veut bien d’un tel heur hâter la jouissance ;
Mais gardez de pâlir et de vous étonner
À l’aspect du chemin qui vous y doit mener.
Théodore
La mort n’a que douceur pour une âme chrétienne.
Marcelle
Votre félicité va donc faire la mienne.
Théodore
Votre haine est trop lente à me la procurer.
Marcelle
Vous n’aurez pas longtemps sujet d’en murmurer.
Allez trouver Valens, allez, ma Stéphanie.
Mais demeurez : il vient.
Scène V
Valens, Marcelle, Théodore, Paulin, Stéphanie
Marcelle
Ce n’est point calomnie,
Seigneur : elle est chrétienne, et s’en ose vanter.
Valens
Théodore, parlez sans vous épouvanter.
Théodore
Puisque je suis coupable aux yeux de l’injustice,
Je fais gloire du crime, et j’aspire au supplice ;
Et d’un crime si beau le supplice est si doux,
Que qui peut le connaître en doit être jaloux.
Valens
Je ne recherche plus la damnable origine
De cette aveugle amour où Placide s’obstine.
Cette noire magie, ordinaire aux chrétiens,
L’arrête indignement dans vos honteux liens ;
Votre charme après lui se répand sur Flavie ;
De l’un il prend le cœur, et de l’autre la vie.
Vous osez donc ainsi jusque dans ma maison,
Jusque sur mes enfants, verser votre poison ?
Vous osez donc tous deux les prendre pour victimes ?
Théodore
Seigneur, il ne faut point me supposer de crimes :
C’est à des faussetés sans besoin recourir.
Puisque je suis chrétienne, il suffit pour mourir.
Je suis prête : où faut-il que je porte ma vie ?
Où me veut votre haine immoler à Flavie ?
Hâtez, hâtez, Seigneur, ces heureux châtiments
Qui feront mes plaisirs et vos contentements.
Valens
Ah ! je rabattrai bien cette fière constance.
Théodore
Craindrai-je des tourments qui font ma récompense ?
Valens
Oui, j’en sais que peut-être aisément vous craindrez ;
Vous en recevrez l’ordre, et vous en réso