Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/499

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rainte.

Donne à ton Dieu ton cœur, aux nôtres quelque feinte :

Un peu d’encens offert au pied de leurs autels

Peut égaler ton sort au sort des immortels.

Didyme

Et pour cela vers moi Théodore t’envoie ?

Son esprit adouci me veut par cette voie ?

Cléobule

Non, elle ignore encor que tu sois arrêté.

Mais ose en sa faveur te mettre en liberté,

Ose te dérober aux fureurs de Marcelle,

Et Placide t’enlève en Égypte avec elle,

Où son cœur généreux te laisse entre ses bras

Etre avec sûreté tout ce que tu voudras.

Didyme

Va, dangereux ami que l’enfer me suscite,

Ton damnable artifice en vain me sollicite.

Mon cœur, inébranlable aux plus cruels tourments,

A presque été surpris de tes chatouillements :

Leur mollesse a plus fait que le fer ni la flamme,

Elle a frappé mes sens, elle a brouillé mon âme,

Ma raison s’est troublée, et mon faible a paru.

Mais j’ai dépouillé l’homme, et Dieu m’a secouru.

Va revoir ta parente, et dis-lui qu’elle quitte

Ce soin de me payer par delà mon mérite :

Je n’ai rien fait pour elle, elle ne me doit rien ;

Ce qu’elle juge amour n’est qu’ardeur de chrétien.

C’est la connaître mal que de la reconnaître :

Je n’en veux point de prix que du souverain maître

Et, comme c’est lui seul que j’ai considéré,

C’est lui seul dont j’attends ce qu’il m’a préparé.

Si pourtant elle croit me devoir quelque chose

Et peut avant ma mort souffrir que j’en dispose,

Qu’elle paye à Placide et tâche à conserver

Des jours que par les miens je viens de lui sauver ;

Qu’elle fuie avec lui, c’est tout ce que veut d’elle

Le souvenir mourant d’une flamme si belle.

Mais elle-même, hélas ! À quel dessein ?

Scène IV

Didyme, Théodore, Cléobule, Paulin, Lycante

Lycante suit Théodore, et entre incontinent chez Marcelle sans rien dire.

Didyme

Pensez-vous m’arracher la palme de la main,

Madame, et, mieux que lui m’expliquant votre envie,

Par un charme plus fort m’attacher à la vie ?

Théodore

Oui, Didyme, il faut vivre et me laisser mourir :

C’est à moi qu’on en veut, c’est à moi de périr.

Cléobule, à Théodore

O dieux ! Quelle fureur aujourd’hui vous possède ?

à Paulin.

Mais prévenons le mal par le dernier remède :

Je cours trouver Placide ; et toi, tire en longueur

De Valens, si tu peux, la dernière rigueur.

Scène V

Didyme, Théodore, Paulin

Didyme

Quoi ! Ne craignez-vous point qu’une rage ennemie

Vous fasse de nouveau traîner à l’infamie ?

Théodore

Non, non, Flavie est morte, et Marcelle en fureur

Dédaigne un châtiment qui m’a fait tant d’horreur :

Je n’en ai rien à craindre, et Dieu me le révèle ;

Ce n’est plus que du sang que veut cette cruelle,

Et, quelque cruauté qu’elle veuille essayer,

S’il ne faut que du sang, j’ai trop de quoi payer.

Rends-moi, rends-moi ma place assez et trop gardée.

Pour me sauver l’honneur je te l’avais cédée ;

Jusque-là seulement j’ai souffert ton secours ;

Mais je la viens reprendre alors qu’on veut mes jours.

Rends, Didyme, rends-moi le seul bien où j’aspire :

C’est le droit de mourir, c’est l’honneur du martyre.

À quel titre peux-tu me retenir mon bien ?

Didyme

À quel droit voulez-vous vous emparer du mien ?

C’est à moi qu’appartient, quoi que vous puissiez dire,

Et le droit de mourir, et l’honneur du martyre :

De sort comme d’habits nous avons su changer,

Et l’arrêt de Valens me le vient d’adjuger.

Théodore

Il ne t’a condamné qu’au lieu de Théodore.

Mais si l’arrêt t’en plaît, l’effet m’en déshonore :

Te voir au lieu de moi payer Dieu de ton sang,

C’est te laisser au ciel aller prendre mon rang.

Je ne souffrirai point, quoi que Valens ordonne,

Qu’en me rendant ma gloire on m’ôte ma couronne.

J’en appelle à Marcelle, et sans plus t’abuser,

Vois comme ce grand Dieu lui-même en vient d’user :

De cette même honte il sauve Agnès dans Rome,

Il daigne s’y servir d’un ange au lieu d’un homme,

Mais si, dans l’infamie, il vient la secourir,

Sitôt qu’on veut son sang il la laisse mourir.

Didyme

Sur cet exemple donc ne trouvez pas étrange,

Puisqu’il se sert ici d’un homme au lieu d’un ange,

S’il daigne mettre au rang de ces esprits heureux

Celui dont pour sa gloire il se sert au lieu d’eux.

Je n’ai regardé qu’elle en conservant la vôtre

Et ne lui donne pas mon sang au lieu d’un autre,

Quand ce qu’il m’a fait faire a pu m’en acquérir

Et l’honneur du martyre et le droit de mourir.

Théodore

Tu t’obstines en vain, la haine de Marcelle…

Scène VI

Marcelle, Théodore, Didyme, Paulin, Lycante, Stéphanie

Marcelle, à Lycante.

Avec quelle douceur j’en reçois la nouvelle,

Non que mes déplaisirs s’en puissent soulager,

Mais c’est toujours beaucoup que se pouvoir venger.

Théodore

Madame, je vous viens rendre votre victime :

Ne le retenez plus, ma fuite est tout son crime ;

Ce n’est qu’au lieu de moi qu’on le mène à l’autel ;

Et puisque je me montre, il n’est plus criminel.

C’est pour moi que Placide a dédaigné Flavie,

C’est moi par conséquent qui lui coûte la vie.

Didyme

Non. C’est moi seul, Madame, et vous l’avez pu voir,

Qui, sauvant sa rivale, ai fait son désespoir,

C’est moi de qui l’audace a terminé sa vie,

C’est moi par conséquent qui vous ôte Flavie,

Et sur qui doit verser ce courage irrité

Tout ce que la vengeance a de sévérité.

Marcelle