O couple de ma perte également coupable !
Sacrilèges auteurs du malheur qui m’accable,
Qui, dans ce vain débat, vous vantez à l’envi,
Lorsque j’ai tout perdu, de me l’avoir ravi !
Donc jusques à ce point vous bravez ma colère
Qu’en vous faisant périr je ne vous puis déplaire,
Et que, loin de trembler sous la punition,
Vous y courez tous deux avec ambition !
Elle semble à tous deux porter un diadème ;
Vous en êtes jaloux comme d’un bien suprême ;
L’un et l’autre de moi s’efforce à l’obtenir.
Je puis vous immoler, et ne puis vous punir ;
Et, quelque sang qu’épande une mère affligée,
Ne vous punissant pas, elle n’est pas vengée.
Toutefois Placide aime, et votre châtiment
Portera sur son cœur ses coups plus puissamment ;
Dans ce gouffre de maux c’est lui qui m’a plongée,
Et, si je l’en punis, je suis assez vengée.
Théodore, à Didyme.
J’ai donc enfin gagné, Didyme, et, tu le vois,
L’arrêt est prononcé : c’est moi dont on fait choix,
C’est moi qu’aime Placide, et ma mort te délivre.
Didyme
Non, non, si vous mourez, Didyme vous doit suivre.
Marcelle
Tu la suivras, Didyme, et je suivrai tes vœux :
Un déplaisir si grand n’a pas trop de tous deux.
Que ne puis-je aussi bien immoler à Flavie
Tous les chrétiens ensemble, et toute la Syrie !
Ou que ne peut ma haine, avec un plein loisir,
Animer les bourreaux qu’elle saurait choisir,
Repaître mes douleurs d’une mort dure et lente,
Vous la rendre à la fois et cruelle et traînante,
Et parmi les tourments soutenir votre sort,
Pour vous faire sentir chaque jour une mort !
Mais je sais le secours que Placide prépare,
Je sais l’effort pour vous que fera ce barbare,
Et ma triste vengeance a beau se consulter,
Il me faut ou la perdre ou la précipiter.
Hâtons-la donc, Lycante, et courons-y sur l’heure :
La plus prompte des morts est ici la meilleure ;
N’avoir pour y descendre à pousser qu’un soupir,
C’est mourir doucement, mais c’est enfin mourir,
Et lorsqu’un grand obstacle à nos fureurs s’oppose,
Se venger à demi, c’est du moins quelque chose.
Amenez-les tous deux.
Paulin
Sans l’ordre de Valens ?
Madame, écoutez moins des transports si bouillants :
Sur son autorité c’est beaucoup entreprendre.
Marcelle
S’il en demande compte, est-ce à vous de le rendre ?
Paulin, portez ailleurs vos conseils indiscrets
Et ne prenez souci que de vos intérêts.
Théodore, à Didyme.
Ainsi, de ce combat que la vertu nous donne,
Nous sortirons tous deux avec une couronne.
Didyme
Oui, Madame, on exauce et vos vœux et les miens :
Dieu…
Marcelle
Vous suivrez ailleurs de si doux entretiens.
Amenez-les tous deux.
Paulin, seul.
Quel orage s’apprête !
Que je vois se former une horrible tempête !
Si Placide survient, que de sang répandu !
Et qu’il en répandra s’il trouve tout perdu !
Allons chercher Valens : qu’à tant de violence
Il oppose, non plus une molle prudence,
Mais un courage mâle, et qui, d’autorité,
Sans rien craindre…
Scène VII
Valens, Paulin
Valens
Ah ! Paulin, est-ce une vérité ?
Est-ce une illusion ? Est-ce une rêverie ?
Viens-je d’ouïr la voix de Marcelle en furie ?
Ose-t-elle traîner Théodore à la mort ?
Paulin
Oui, si Valens n’y fait un généreux effort.
Valens
Quel effort généreux veux-tu que Valens fasse
Lorsque de tous côtés il ne voit que disgrâce ?
Paulin
Faites voir qu’en ces lieux c’est vous qui gouvernez,
Qu’aucun n’y doit périr si vous ne l’ordonnez.
La Syrie à vos lois est-elle assujettie
Pour souffrir qu’une femme y soit juge et partie ?
Jugez de Théodore.
Valens
Et qu’en puis-je ordonner
Qui dans mon triste sort ne serve à me gêner ?
Ne la condamner pas, c’est me perdre avec elle,
C’est m’exposer en butte aux fureurs de Marcelle,
Au pouvoir de son frère, au courroux des Césars,
Et, pour un vain effort courir mille hasards.
La condamner d’ailleurs, c’est faire un parricide :
C’est de ma propre main assassiner Placide,
C’est lui porter au cœur d’inévitables coups.
Paulin
Placide donc, Seigneur, osera plus que vous :
Marcelle a fait armer Lycante et sa cohorte,
Mais sur elle et sur eux il va fondre à main-forte,
Résolu de forcer pour cet objet c