Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/502

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choix,

Dit-elle, ni d’attendre à rejoindre Flavie

Que ta rage insolente ordonne de ma vie."

À ces mots, furieuse, et, se perçant le flanc

De ce même poignard fumant d’un autre sang,

Elle ajoute : "Va, traître, à qui j’épargne un crime,

Si tu veux te venger, cherche une autre victime :

Je meurs, mais j’ai de quoi rendre grâces aux dieux,

Puisque je meurs vengée, et vengée à tes yeux."

Lors même, dans la mort conservant son audace,

Elle tombe, et, tombant, elle choisit sa place,

D’où son œil semble encore à longs traits se soûler

Du sang des malheureux qu’elle vient d’immoler.

Valens

Et Placide ?

Stéphanie

J’ai fui, voyant Marcelle morte,

De peur qu’une douleur et si juste et si forte

Ne vengeât… Mais, Seigneur, je l’aperçois qui vient.

Valens

Arrête : de faiblesse à peine il se soutient ;

Et d’ailleurs à ma vue il saura se contraindre ;

Ne crains rien. Mais, ô dieux ! Que j’ai moi-même à craindre !

Scène IX

Valens, Placide, Cléobule, Paulin, Stéphanie, Troupe

Valens

Cléobule, quel sang coule sur ses habits ?

Cléobule

Le sien propre, seigneur.

Valens

Ah ! Placide ! Ah ! Mon fils !

Placide

Retire-toi, cruel !

Valens

Cet ami si fidèle

N’a pu rompre le coup qui t’immole à Marcelle !

Qui sont les assassins ?

Cléobule

Son propre désespoir.

Valens

Et vous ne deviez pas le craindre et le prévoir ?

Cléobule

Je l’ai craint et prévu jusqu’à saisir ses armes.

Mais comme après ce soin j’en avais moins d’alarmes,

Embrassant Théodore, un funeste hasard

A fait dessous sa main rencontrer ce poignard,

Par où ses déplaisirs trompant ma prévoyance…

Valens

Ah ! Fallait-il avoir si peu de défiance ?

Placide

Rends-en grâces au ciel, heureux père et mari :

Par là t’est conservé ce pouvoir si chéri,

Ta dignité dans l’âme à ton fils préférée ;

Ta propre vie enfin par là t’est assurée,

Et ce sang qu’un amour pleinement indigné

Peut-être en ses transports n’aurait pas épargné.

Pour ne point violer les droits de la naissance,

Il fallait que mon bras s’en mît dans l’impuissance ;

C’est par là seulement qu’il s’est pu retenir,

Et je me suis puni de peur de te punir.

Je te punis pourtant : c’est ton sang que je verse ;

Si tu m’aimes encor, c’est ton sein que je perce ;

Et c’est pour te punir que je viens en ces lieux,

Pour le moins, en mourant, te blesser par les yeux.

Daigne ce juste ciel…

Valens

Cléobule, il expire !

Cléobule

Non, Seigneur, je l’entends encore qui soupire :

Ce n’est que la douleur qui lui coupe la voix.

Valens

Non, non, j’ai tout perdu : Placide est aux abois.

Mais ne rejetons pas une espérance vaine,

Portons-le reposer dans la chambre prochaine,

Et, vous autres, allez prendre souci des morts.

Tandis que j’aurai soin de calmer ses transports.