Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/501

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harmant

Jusqu’à votre palais et votre appartement.

Prévenez ce désordre et jugez quel carnage

Produit le désespoir qui s’oppose à la rage,

Et combien des deux parts l’amour et la fureur

Etaleront ici de spectacles d’horreur.

Valens

N’importe. Laissons faire et Marcelle et Placide :

Que l’amour en furie ou la haine en décide,

Que Théodore en meure ou ne périsse pas,

J’aurai lieu d’excuser sa vie ou son trépas ;

S’il la sauve, peut-être on trouvera dans Rome

Plus de cœur que de crime à l’ardeur d’un jeune homme ;

Je l’en désavoûrai, j’irai l’en accuser,

Les pousser par ma plainte à le favoriser,

À plaindre son malheur en blâmant son audace ;

César même pour lui me demandera grâce,

Et cette illusion de ma sévérité

Augmentera ma gloire et mon autorité.

Paulin

Et s’il ne peut sauver cet objet qu’il adore ?

Si Marcelle à ses yeux fait périr Théodore ?

Valens

Marcelle aura sans moi commis cet attentat.

J’en saurai près de lui faire un crime d’État,

À ses ressentiments égaler ma colère,

Lui promettre vengeance, et trancher du sévère,

Et, n’ayant point de part en cet événement,

L’en consoler en père un peu plus aisément.

Mes soins avec le temps pourront tarir ses larmes.

Paulin

Seigneur, d’un mal si grand c’est prendre peu d’alarmes :

Placide est violent et, pour la secourir,

Il périra lui-même, ou fera tout périr.

Si Marcelle y succombe, appréhendez son frère,

Et si Placide y meurt, les déplaisirs d’un père.

De grâce, prévenez ce funeste hasard.

Mais que vois-je ? Peut-être il est déjà trop tard.

Stéphanie entre ici, de pleurs toute trempée.

Valens

Théodore à Marcelle est sans doute échappée,

Et l’amour de Placide a bravé son effort.

Scène VIII

Valens, Paulin, Stéphanie

Valens, à Stéphanie.

Marcelle a donc osé les traîner à la mort,

Sans mon su, sans mon ordre ? Et son audace extrême…

Stéphanie

Seigneur, pleurez sa perte : elle est morte elle-même.

Valens

Elle est morte !

Stéphanie

Elle l’est.

Valens

Et Placide a commis…

Stéphanie

Non. Ce n’est en effet ni lui ni ses amis ;

Mais s’il n’en est l’auteur, du moins il en est cause.

Valens

Ah ! Pour moi l’un et l’autre est une même chose

Et, puisque c’est l’effet de leur inimitié,

Je dois venger pour lui cette chère moitié.

Mais apprends-moi sa mort, du moins si tu l’as vue.

Stéphanie

De l’escalier à peine elle était descendue,

Qu’elle aperçoit Placide aux portes du palais,

Suivi d’un gros armé d’amis et de valets ;

Sur les bords du perron soudain elle s’avance,

Et, pressant sa fureur qu’accroît cette présence :

"Viens, dit-elle, viens voir l’effet de ton secours" ;

Et sans perdre le temps en de plus longs discours,

Ayant fait avancer l’une et l’autre victime,

D’un côté Théodore, et de l’autre Didyme,

Elle lève le bras, et de la même main

Leur enfonce à tous deux un poignard dans le sein.

Valens

Quoi ! Théodore est morte ?

Stéphanie

Et Didyme avec elle.

Valens

Et l’un et l’autre enfin de la main de Marcelle ?

Ah ! Tout est pardonnable aux douleurs d’un amant,

Et quoi qu’ait fait Placide en son ressentiment…

Stéphanie

Il n’a rien fait, Seigneur, mais écoutez le reste :

Il demeure immobile à cet objet funeste ;

Quelque ardeur qui le pousse à venger ce malheur,

Pour en avoir la force il a trop de douleur ;

Il pâlit, il frémit, il tremble, il tombe, il pâme,

Sur son cher Cléobule il semble rendre l’âme.

Cependant, triomphante entre ces deux mourants,

Marcelle les contemple à ses pieds expirants,

Jouit de sa vengeance et, d’un regard avide,

En cherche les douceurs jusqu’au cœur de Placide

Et tantôt se repaît de leurs derniers soupirs,

Tantôt goûte à pleins yeux ses mortels déplaisirs,

Y mesure sa joie et trouve plus charmante

La douleur de l’amant que la mort de l’amante,

Nous témoigne un dépit qu’après ce coup fatal,

Pour être trop sensible il sent trop peu son mal,

En hait sa pâmoison qui la laisse impunie,

Au péril de ses jours la souhaite finie.

Mais à peine il revit, qu’elle, haussant la voix :

"Je n’ai pas résolu de mourir à ton