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- Qu’il veuille s’abaisser à suivre leurs colères[1] ;
- Et quand votre mépris en fit comparaison,
- Il voyait mieux que vous que vous aviez raison.
- Il venge, et c’est de là que votre mal procède,
- L’injustice rendue aux beautés d’Andromède[2].
- Sous les lois d’un mortel votre choix l’asservit !
- Cette injure est sensible aux dieux qu’elle ravit,
- Aux dieux qu’elle captive ; et ces rivaux célestes
- S’opposent à des nœuds à sa gloire funestes,
- En sauvent les appas qui les ont éblouis,
- Punissent vos sujets qui s’en sont réjouis.
- Jupiter, résolu de l’ôter à Phinée,
- Exprès par son oracle en défend l’hyménée.
- À sa flamme peut-être il veut la réserver ;
- Ou, s’il peut se résoudre enfin à s’en priver,
- À quelqu’un de ses fils sans doute il la destine ;
- Et voilà de vos maux la secrète origine.
- Faites cesser l’offense, et le même moment
- Fera cesser ici son juste châtiment.
CASSIOPE
- Vous montrez pour ma fille une trop haute estime,
- Quand pour la mieux flatter vous me faites un crime,
- Dont la civilité me force de juger
- Que vous ne m’accusez qu’afin de m’obliger.
- Si quelquefois les dieux pour des beautés mortelles
- Quittent de leur séjour les clartés éternelles,
- Ces mêmes dieux aussi, de leur grandeur jaloux,
- Ne fout pas chaque jour ce miracle pour nous :
- Et, quand pour l’espérer je serais assez folle[3],
- Le roi , dont tout dépend est homme de parole ;
- Il a promis sa fille, et verra tout périr
- Avant qu’à se dédire il veuille recourir,
- 11 tient cette alliance et glorieuse et chère :
- Phinée est de son sang , il est fils de son frère.
PERSÉE
- Reine, le sang des dieux vaut bien celui des rois.
- Mais nous en parlerons encor quelque autre fois.
- Voici le roi qui vient.
ACTE premier
Scène II
Cephée, Cassiope, Phinée, Persée,
Suite du Roi et de la Reine.
CÉPHÉE
- N’en parlons plus, Phinée,
- Et laissons d’Andromède aller la destinée[4].
- Votre amour fait pour elle un inutile effort ;
- Je la dois comme une autre au triste choix du sort.
- Elle est cause du mal, puisqu’elle l’est du crime :
- Peut-être qu’il la veut pour dernière victime,
- Et que nos châtiments deviendraient éternels.
- S’ils ne pouvaient tomber sur les vrais criminels.
PHINÉE
- Est-ce un crime en ces lieux, seigneur, que d’être belle ?
CÉPHÉE
- Elle a rendu par là sa mère criminelle.
PHINÉE
- C’est donc un crime ici que d’avoir de bons yeux
- Qui sachent bien juger d’un tel présent des cieux.
CÉPHÉE
- Qui veut en bien juger n’a point le privilège
- D’aller jusqu’au blasphème et jusqu’au sacrilège.
CASSIOPE
- Ce blasphème, seigneur, de quoi vous m’accusez[5]...
CÉPHÉE
- Madame, après les maux que vous avez causés,
- C’est à vous à pleurer, et non à vous défendre.
- Voyez, voyez quel sang vous avez fait répandre ;
- Et ne laissez paraître en cette occasion
- Que larmes, que soupirs, et que confusion.
(à Phinée.)
- Je vous le dis encore, elle la crut trop belle ;
- Et peut-être le sort l’en veut punir en elle :
- Dérober Andromède à cette élection,
- C’est dérober sa mère à sa punition.
PHINÉE
- Déjà cinq fois, seigneur, à ce choix exposée,
- Vous voyez que cinq fois le sort l’a refusée.
CÉPHÉE
- Si le courroux du ciel n’en veut point à ses jours,
- Ce qu’il a fait cinq fois il le fera toujours[6].
- ↑ Colère n’admet jamais de pluriel. (V.)
- ↑ On ne rend point injustice, comme on rend justice ; c’est un barbarisme ; la raison en est qu’on rend ce qu’on doit : on ne doit justice, on ne doit pas injustice. D’ailleurs il y a beaucoup d’esprit dans le discours de Persée, mais il n’y a rien d’intéressant : c’est là un des grands défauts de Corneille. Quinault intéresse, quoiqu’il soit presque permis de négliger cet avantage dans l’opéra. (V.)
- ↑ Ce terme folle, et celui de civilité, et le ton de ce discours sont bourgeois ; tandis qu’il s’agit de dieux et de victimes : c’était un ancien usage , dont Corneille ne s’est défait que dans les grands morceaux de ses belles tragédies : cet usage n’était fondé que sur la négligence des auteurs, et sur le peu d’usage qu’ils avaient du monde. Les bienséances du style n’ont été connues que par Racine. (V.)
- ↑ Aller la destinée est encore une de ces expressions populaires qui ne sont pas permises ; mais un défaut plus considérable est celui du rôle de ce Céphée, qui vient dire tranquillement qu’il faut que sa fille soit exposée comme une autre. Il n’y a rien de si froid que cette scène. (V.)
- ↑ Ce blasphème de quoi on l’accuse, et cette longue contestation entre le mari et la femme, dans un si grand malheur, n’est pas sans doute excusable. (V.)
- ↑ On a déjà dit avec quel soin il faut éviter ces équivoques (V.) — Le sens nous parait très clair, et nous n’apercevons pas l’équivoque (P.)