- Aimer est tout son but, aimer est tout son bien ;
- Il n’est difficulté ni péril qui l’étonne.
- « Ce qui n’est point à moi n’est encore à personne,
- « Disais-je ; et ce rival qui possède sa foi,
- « S’il espère un peu plus, n’obtient pas plus que moi. »
- Voilà durant vos maux de quoi vivait ma flamme,
- Et les douces erreurs dont je flattais mon âme.
- Pour nourrir des désirs d’un beau feu trop contents,
- C’était assez d’espoir que d’espérer au temps ;
- Lui qui fait chaque jour tant de métamorphoses
- Pouvait en ma faveur faire beaucoup de choses.
- Mais enfin la déesse a prononcé ma mort,
- Et je suis ce dernier sur qui tombe le sort.
- J’étais indigne d’elle et de son hyménée,
Et toutefois, hélas ! je valais bien Phinée.
- Vous plaindre en cet état, c’est tout ce que je puis.
- Vous vous plaindrez peut-être apprenant qui je suis.
- Vous ne vous trompiez point touchant mon origine,
- Lorsque vous la jugiez ou royale ou divine :
- Mon père est… Mais pourquoi contre vous l’animer ?
- Puisqu’il nous faut mourir, mourons sans le nommer ;
- Il vengerait ma mort, si j’avais fait connaître
- De quel illustre sang j’ai la gloire de naître ;
- Et votre grand bonheur serait mal assuré,
- Si vous m’aviez connu sans m’avoir préféré.
- C’est trop perdre de temps, courons à votre joie,
- Courons à ce bonheur que le ciel vous envoie ;
- J’en veux être témoin, afin que mon tourment
- Puisse par ce poison finir plus promptement.
- Le temps vous fera voir pour souverain remède
- Le peu que vous perdez en perdant Andromède ;
- Et les dieux, dont pour nous vous voyez la bonté,
- Vous rendront bientôt plus qu’ils ne vous ont ôté.
- Ni le temps ni les dieux ne feront ce miracle.
- Mais allons : à votre heur je ne mets point d’obstacle,
- Reine ; c’est l’affaiblir que de le retarder ;
- Et les dieux ont parlé, c’est à moi de céder[1].
ACTE second
Cette place publique s’évanouit en un instant pour faire place à un jardin délicieux ; et ces grands palais sont changés en autant de vases de marbre blanc, qui portent alternativement, les uns des statues d’où sortent autant de jets d’eau, les autres des myrtes, des jasmins et d’autres arbres de cette nature. De chaque côté se détache un rang d’orangers dans de pareils vases, qui viennent former un admirable berceau jusqu’au milieu du théâtre, et le séparent ainsi en trois allées, que l’artifice ingénieux de la perspective fait paraître longues de plus de mille pas. C’est là qu’on voit Andromède avec ses nymphes qui cueillent des fleurs, et en composent une guirlande dont cette princesse veut couronner Phinée, pour le récompenser, par cette galanterie, de la bonne nouvelle qu’il lui vient d’apporter.
Scène I
- Nymphes, notre guirlande est encor mal ornée ;
- Et devant qu’il soit peu nous reverrons Phinée,
- Que de ma propre main j’en voulais couronner
- Pour les heureux avis qu’il vient de me donner.
- Toutefois la faveur ne serait pas bien grande ;
- Et mon cœur après tout vaut bien une guirlande.
- Dans l’état où le ciel nous a mis aujourd’hui,
- C’est l’unique présent qui soit digne de lui.
- Quittez, nymphes, quittez ces peines inutiles ;
- L’augure déplairait de tant de fleurs stériles ;
- Il faut à notre hymen des présages plus doux.
- Dites-moi cependant laquelle d’entre vous…
- Mais il faut me le dire, et sans faire les fines.
- Quoi, madame ?
- [2]. À tes yeux je vois que tu devines
- Dis-moi donc d’entre vous laquelle a retenu
- En ces lieux jusqu’ici cet illustre inconnu.
- Car enfin ce n’est point sans un peu de mystère
- Qu’un tel héros s’attache à la cour de mon père.
- Quelque chaîne l’arrête et le force à tarder.
- Qu’on ne perde point temps à s’entre-regarder.
- Parlez, et d’un seul mot éclaircissez mes doutes.
- Aucune ne répond, et vous rougissez toutes !
- Quoi ! toutes l’aimez-vous ? Un si parfait amant
- Vous a-t-il su charmer toutes également ?
- Il n’en faut point rougir, il est digne qu’on l’aime :
- ↑ On sent assez combien celle scène est froide et mal placée : quand même elle serait bien écrite, elle serait toujours mauvaise par le fond. (V.)
- ↑ Ces puérilités étaient le vice du temps ; cela pouvait s’appeler alors de la galanterie : on ne sentait pas l’indécence d’un pareil contraste avec le fond terrible de la pièce. (V.)