Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/601

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Si je n’aimais ailleurs, peut-être que moi-même,
Oui, peut-être, à le voir si bien fait, si bien né,
Il aurait eu mon cœur, s’il n’eût été donné.
Mais j’aime trop Phinée, et le change est un crime.
AGLANTE
Ce héros vaut beaucoup puisqu’il a votre estime ;
Mais il sait ce qu’il vaut, et n’a jusqu’à ce jour
À pas une de nous daigné montrer d’amour.
ANDROMÈDE
Que dis-tu ?
AGLANTE
XXXXXXXXXXPas fait même une offre de service.
ANDROMÈDE
Ah ! c’est de quoi rougir toutes avec justice ;
Et la honte à vos fronts doit bien cette couleur,
Si tant de si beaux yeux ont pu manquer son cœur.
CÉPHALIE
Où les vôtres, madame, épandent leur lumière,
Cette honte pour nous est assez coutumière.
Les plus vives clartés s’éteignent auprès d’eux,
Comme auprès du soleil meurent les autres feux :
Et pour peu qu’on vous voie et qu’on vous considère,
Vous ne nous laissez point de conquêtes à faire.
ANDROMÈDE
Vous êtes une adroite ; achevez, achevez :
C’est peut-être en effet vous qui le captivez ;
Car il aime, et j’en vois la preuve trop certaine.
Chaque fois qu’il me parle il semble être à la gêne ;
Son visage et sa voix changent à tout propos ;
Il hésite, il s’égare au bout de quatre mots ;
Ses discours vont sans ordre ; et plus je les écoute,
Plus j’entends des soupirs dont j’ignore la route.
Où vont-ils, Céphalie ? où vont-ils ? répondez.
CÉPHALIE
C’est à vous d’en juger, vous qui les entendez.
UN PAGE, chantant sans être vu.
Qu’elle est lente cette journée !
ANDROMÈDE
Taisons-nous : cette voix me parle pour Phinée ;
Sans doute il n’est pas loin, et veut à son retour
Que des accents si doux m’expliquent son amour.
LE PAGE
Qu’elle est lente cette journée
Dont la fin me doit rendre heureux[1] !
Chaque moment à mon cœur amoureux
Semble durer plus d’une année.
O ciel ! quel est l’heur d’un amant,
Si, quand il en a l’assurance.
Sa juste impatience
Est un nouveau tourment ?
Je dois posséder Andromède :
Juge, Soleil, quel est mon bien !
Vis-tu jamais amour égal au mien ?
Vois-tu beauté qui ne lui cède ?
Puis donc que la longueur du jour
De mon nouveau mal est la source,
Précipite ta course,
Et tarde ton retour.
Tu luis encore, et ta lumière
Semble se plaire à m’affliger.
Ah ! mon amour te va bien obliger
À quitter soudain ta carrière.
Viens, Soleil, viens voir la beauté
Dont le divin éclat me dompte ;
Et tu fuiras de honte
D’avoir moins de clarté[2].

Scène II

Phinée, Andromède, un page, Chœur de Nymphes, suite de Phinée.
PHINÉE
Ce n’est pas mon dessein, madame, de surprendre,
Puisque avant que d’entrer je me suis fait entendre.
ANDROMÈDE
Vos vœux pour les cacher n’étaient pas criminels,
Puisqu’ils suivent des dieux les ordres éternels.
PHINÉE
Que me direz-vous donc de leur galanterie ?
ANDROMÈDE
Que je vais vous payer de votre flatterie.
PHINÉE
Comment ?
ANDROMÈDE
XXXXXXXXEn vous donnant de semblables témoins,
Si vous aimez beaucoup, que je n’aime pas moins.
Approchez, Liriope, et rendez-lui son change[3] ;
C’est vous, c’est votre voix que je veux qui me venge.
De grâce, écoutez-la ; nous avons écouté,
Et demandons silence après l’avoir prêté.
LIRIOPE, chante.
Phinée est plus aimé qu’Andromède n’est belle,
Bien qu’ici-bas tout cède à ses attraits ;
Comme il n’est point de si doux traits,
  1. Ce page chante là une étrange chanson ; mais, fût-elle bonne, un page qui vient chanter est bien froid. (V.)
  2. L’amour de Phinée, qui va bien obliger le soleil à se cacher et à fuir de honte d’avoir moins de clarté que le visage d’Andromède, est d’un ridicule bien plus fort que celui du poignard de Pirame, qui rougissait d’avoir versé le sang de son maître. On ne sort point d’étonnement de voir jusqu’où l’auteur de Cinna s’est égaré et s’est abaissé. (V.)
  3. Liriope qui rend son change au page est encore d’une étrange galanterie. (V)