Elle brûle, et par quelque signe
Que son cœur s’explique avec moi,
Je doute de ce que je voi,
Parce que je m’en trouve indigne.
Espoir, adieu ; c’est trop flatté :
Ne crois pas que cette beauté
Daigne avouer de telles flammes ;
Et dans le juste soin qu’elle a de les cacher,
Vois que si même ardeur embrase nos deux âmes,
Sa bouche à son esprit n’ose le reprocher.
Pauvre amant, vois par son silence
Qu’elle t’en commande un égal,
Et que le récit de ton mal
Te convaincrait d’une insolence.
Quel fantasque raisonnement !
Et qu’au milieu de mon tourment
Je deviens subtil à ma peine !
Pourquoi m’imaginer qu’un discours amoureux
Par un contraire effet change l’amour en haine,
Et malgré mon bonheur me rendre malheureux ?
Mais j’aperçois Clarice. O dieux ! si cette belle
Parlait autant de moi que je m’entretiens d’elle !
Du moins si sa nourrice a soin de nos amours,
C’est de moi qu’à présent doit être leur discours.
Une humeur curieuse avec chaleur m’emporte
À me couler sans bruit derrière cette porte,
Pour écouter de là, sans en être aperçu,
En quoi mon fol espoir me peut avoir déçu.
Allons. Souvent l’amour ne veut qu’une bonne heure ;
Jamais l’occasion ne s’offrira meilleure,
Et peut-être qu’enfin nous en pourrons tirer
Celle que nous cherchons pour nous mieux déclarer.
Scène II
Clarice, la Nourrice
Clarice
Tu me veux détourner d’une seconde flamme,
Dont je ne pense pas qu’autre que toi me blâme.
Etre veuve à mon âge, et toujours déplorer
La perte d’un mari que je puis réparer !
Refuser d’un amant ce doux nom de maîtresse !
N’avoir que des mépris pour les vœux qu’il m’adresse !
Le voir toujours languir dessous ma dure loi !
Cette vertu, nourrice, est trop haute pour moi.
La Nourrice
Madame, mon avis au vôtre ne résiste
Qu’alors que votre ardeur se porte vers Philiste.
Aimez, aimez quelqu’un ; mais comme à l’autre fois
Qu’un lieu digne de vous arrête votre choix.
Clarice
Brise là ce discours dont mon amour s’irrite ;
Philiste n’en voit point qui le passe en mérite.
La Nourrice
Je ne remarque en lui rien que de fort commun,
Sinon que plus qu’un autre il se rend importun.
Clarice
Que ton aveuglement en ce point est extrême !
Et que tu connais mal et Philiste et moi-même,
Si tu crois que l’excès de sa civilité
Passe jamais chez moi pour importunité !
La Nourrice
Ce cajoleur rusé, qui toujours vous assiège,
A tant fait qu’à la fin vous tombez dans son piège.
Clarice
Ce cavalier parfait, de qui je tiens le cœur,
A tant fait que du mien il s’est rendu vainqueur.
La Nourrice
Il aime votre bien, et non votre personne.
Clarice
Son vertueux amour l’un et l’autre lui donne :
Ce m’est trop d’heur encor, dans le peu que je vaux,
Qu’un peu de bien que j’ai supplée à mes défauts.
La Nourrice
La mémoire d’Alcandre, et le rang qu’il vous laisse,
Voudraient un successeur de plus haute noblesse.
Clarice
S’il précéda Philiste en vaines dignités,
Philiste le devance en rares qualités ;
Il est né gentilhomme, et sa vertu répare
Tout ce dont la fortune envers lui fut avare :
Nous avons, elle et moi, trop de quoi l’agrandir.
La Nourrice
Si vous pouviez, madame, un peu vous refroidir
Pour le considérer avec indifférence,
Sans prendre pour mérite une fausse apparence,
La raison ferait voir à vos yeux insensés
Que Philiste n’est pas tout ce que vous pensez.
Croyez-m’en plus que vous ; j’ai vieilli dans le monde,
J’ai de l’expérience, et c’est où je me fonde ;
Eloignez quelque temps ce dangereux charmeur,
Faites en son absence essai d’une autre humeur ;
Pratiquez-en quelque autre, et désintéressée,
Comparez-lui l’objet dont vous êtes blessée ;
Comparez-en l’esprit, la façon, l’entretien,
Et lors vous trouverez qu’un autre le vaut bien.
Clarice
Exercer contre moi de si noirs artifices !
Donner à mon amour de si cruels supplices !
Trahir tous mes désirs ! éteindre un feu si beau !
Qu’on m’enferme plutôt toute vive au tombeau.
Fais venir cet amant : dussé-je la première
Lui faire de mon cœur une ouverture entière,
Je ne permettrai point qu’il sorte d’avec moi