Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

À des gens comme nous ce n’est qu’une folie.

Mais, pour te retirer de ta mélancolie,

Je te veux faire part de mes contentements.

Si l’on peut en amour s’assurer aux serments,

Dans trois jours au plus tard, par un bonheur étrange,

Clarice est à Philiste.

Alcidon

Et Doris, à Florange.

Philiste

Quelque soupçon frivole en ce point te déçoit ;

J’aurai perdu la vie avant que cela soit.

Alcidon

Voilà faire le fin de fort mauvaise grâce ;

Philiste, vois-tu bien, je sais ce qui se passe.

Philiste

Ma mère en a reçu, de vrai, quelque propos,

Et voulut hier au soir m’en toucher quelques mots.

Les femmes de son âge ont ce mal ordinaire

De régler sur les biens une pareille affaire :

Un si honteux motif leur fait tout décider,

Et l’or qui les aveugle a droit de les guider ;

Mais comme son éclat n’éblouit point mon âme,

Que je vois d’un autre œil ton mérite et ta flamme,

Je lui fis bien savoir que mon consentement

Ne dépendrait jamais de son aveuglement,

Et que jusqu’au tombeau, quant à cet hyménée,

Je maintiendrais la foi que je t’avais donnée.

Ma sœur accortement feignait de l’écouter ;

Non pas que son amour n’osât lui résister,

Mais elle voulait bien qu’un peu de jalousie

Sur quelque bruit léger piquât ta fantaisie :

Ce petit aiguillon quelquefois, en passant,

Réveille puissamment un amour languissant.

Alcidon

Fais à qui tu voudras ce conte ridicule.

Soit que ta sœur l’accepte, ou qu’elle dissimule

Le peu que j’y perdrai ne vaut pas m’en fâcher.

Rien de mes sentiments ne saurait approcher.

Comme, alors qu’au théâtre on nous fait voir Mélite,

Le discours de Chloris, quand Philandre la quitte :

Ce qu’elle dit de lui, je le dis de ta sœur,

Et je la veux traiter avec même douceur.

Pourquoi m’aigrir contre elle ? En cet indigne change,

Le beau choix qu’elle fait la punit et me venge ;

Et ce sexe imparfait, de soi-même ennemi,

Ne posséda jamais la raison qu’à demi.

J’aurais tort de vouloir qu’elle en eût davantage ;

Sa faiblesse la force à devenir volage.

Je n’ai que pitié d’elle en ce manque de foi ;

Et mon courroux entier se réserve pour toi,

Toi qui trahis ma flamme après l’avoir fait naître,

Toi qui ne m’es ami qu’afin d’être plus traître,

Et que tes lâchetés tirent de leur excès,

Par ce damnable appas, un facile succès.

Déloyal ! ainsi donc de ta vaine promesse

Je reçois mille affronts au lieu d’une maîtresse ;

Et ton perfide cœur, masqué jusqu’à ce jour,

Pour assouvir ta haine alluma mon amour !

Philiste

Ces soupçons dissipés par des effets contraires,

Nous renouerons bientôt une amitié de frères.

Puisse dessus ma tête éclater à tes yeux

Ce qu’a de plus mortel la colère des cieux,

Si jamais ton rival a ma sœur sans ma vie

À cause de son bien ma mère en meurt d’envie ;

Mais malgré…

Alcidon

Laisse là ces propos superflus :

Ces protestations ne m’éblouissent plus ;

Et ma simplicité, lasse d’être dupée,

N’admet plus de raisons qu’au bout de mon épée.

Philiste

Etrange impression d’une jalouse erreur,

Dont ton esprit atteint ne suit que sa fureur !

Eh bien ! tu veux ma vie, et je te l’abandonne ;

Ce courroux insensé qui dans ton cœur bouillonne,

Contente-le par là, pousse ; mais n’attends pas

Que par le tien je veuille éviter mon trépas.

Trop heureux que mon sang puisse te satisfaire,

Je le veux tout donner au seul bien de te plaire.

Toujours à ces défis j’ai couru sans effroi ;

Mais je n’ai point d’épée à tirer contre toi.

Alcidon

Voilà bien déguiser un manque de courage.

Philiste

C’est presser un peu trop qu’aller jusqu’à l’outrage.

On n’a point encor vu que ce manque de cœur

M’ait rendu le dernier où vont les gens d’honneur.

Je te veux bien ôter tout sujet de colère ;

Et quoi que de ma sœur ait résolu ma mère,

Dût mon peu de respect irriter tous les dieux,

J’affronterai Géron et Florange à ses yeux.

Mais après les efforts de cette déférence

Si tu gardes encor la même violence,

Peut-être saurons-nous apaiser autrement

Les obstinations de ton emportement.

Alcidon, seul.

Je crains son amitié plus que cette menace.

Sans doute il va chasser Florange de ma place.

Mon prétexte est perdu, s’il ne quitte ces soins.

Dieux ! qu’il m’obligerait de m’aimer un peu moins !

Scène IV

Chrysante, Doris

Chrisante

Je meure, mon enfant, si tu n’es a