Si mon salut dépend d’une soudaine fuite !
Et mon esprit confus ne sait où l’adresser.
Célidan
J’ai pitié des malheurs qui te viennent presser :
Nourrice, fais chez moi, si tu veux, ta retraite ;
Autant qu’en lieu du monde elle y sera secrète.
La Nourrice
Oserais-je espérer que la compassion…
Célidan
Je prends ton innocence en ma protection.
Va, ne perds point de temps : être ici davantage
Ne pourrait à la fin tourner qu’à ton dommage.
Je te suivrai de l’œil, et ne dis encor rien
Comme après je saurai m’employer pour ton bien :
Durant l’éloignement ta paix se pourra faire.
La Nourrice
Vous me serez, monsieur, comme un dieu tutélaire.
Célidan
Trêve, pour le présent, de ces remerciements ;
Va, tu n’as pas loisir de tant de compliments.
Scène VII
Célidan
Voilà mon homme pris, et ma vieille attrapée.
Vraiment un mauvais conte aisément l’a dupée :
Je la croyais plus fine, et n’eusse pas pensé
Qu’un discours sur-le-champ par hasard commencé,
Dont la suite non plus n’allait qu’à l’aventure,
Pût donner à son âme une telle torture,
La jeter en désordre, et brouiller ses ressorts ;
Mais la raison le veut, c’est l’effet des remords.
Le cuisant souvenir d’une action méchante
Soudain au moindre mot nous donne l’épouvante.
Mettons-la cependant en lieu de sûreté,
D’où nous ne craignions rien de sa subtilité ;
Après, nous ferons voir qu’il me faut d’une affaire
Ou du tout ne rien dire, ou du tout ne rien taire,
Et que depuis qu’on joue à surprendre un ami,
Un trompeur en moi trouve un trompeur et demi.
Scène VIII
Alcidon, Doris
Doris
C’est donc pour un ami que tu veux que mon âme
Allume à ta prière une nouvelle flamme ?
Alcidon
Oui, de tout mon pouvoir je t’en viens conjurer.
Doris
À ce coup, Alcidon, voilà te déclarer.
Ce compliment, fort beau pour des âmes glacées,
M’est un aveu bien clair de tes feintes passées.
Alcidon
Ne parle point de feinte ; il n’appartient qu’à toi
D’être dissimulée, et de manquer de foi ;
L’effet l’a trop montré.
Doris
L’effet a dû t’apprendre,
Quand on feint avec moi, que je sais bien le rendre.
Mais je reviens à toi. Tu fais donc tant de bruit
Afin qu’après un autre en recueille le fruit ;
Et c’est à ce dessein que ta fausse colère
Abuse insolemment de l’esprit de mon frère ?
Alcidon
Ce qu’il a pris de part en mes ressentiments
Apporte seul du trouble à tes contentements ;
Et pour moi, qui vois trop ta haine par ce change
Qui t’a fait sans raison me préférer Florange,
Je n’ose plus t’offrir un service odieux.
Doris
Tu ne fais pas tant mal. Mais pour faire encor mieux,
Puisque tu reconnais ma véritable haine,
De moi, ni de mon choix ne te mets point en peine.
C’est trop manquer de sens : je te prie, est-ce à toi,
À l’objet de ma haine, à disposer de moi ?
Alcidon
Non ; mais puisque je vois à mon peu de mérite
De ta possession l’espérance interdite,
Je sentirais mon mal puissamment soulagé,
Si du moins un ami m’en était obligé.
Ce cavalier, au reste, a tous les avantages
Que l’on peut remarquer aux plus braves courages,
Beau de corps et d’esprit, riche, adroit, valeureux,
Et surtout de Doris à l’extrême amoureux.
Doris
Toutes ces qualités n’ont rien qui me déplaise ;
Mais il en a de plus une autre fort mauvaise,
C’est qu’il est ton ami ; cette seule raison
Me le ferait haïr, si j’en savais le nom.
Alcidon
Donc, pour le bien servir, il faut ici le taire ?
Doris
Et de plus lui donner cet avis salutaire,
Que s’il est vrai qu’il m’aime et qu’il veuille être aimé,
Quand il m’entretiendra, tu ne sois point nommé ;
Qu’il n’espère autrement de réponse que triste.
J’ai dépit que le sang me lie avec Philiste,
Et qu’ainsi malgré moi j’aime un de tes amis.
Alcidon
Tu seras quelque jour d’un esprit plus remis.
Adieu. Quoi qu’il en soit, souviens-toi, dédaigneuse,
Que tu hais Alcidon qui te veut rendre heureuse.
Doris
Va, je ne veux point d’heur qui parte de ta main.