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Scène IX===

Doris

Qu’aux filles comme moi le sort est inhumain !

Que leur condition se trouve déplorable !

Une mère aveuglée, un frère inexorable,

Chacun de son côté, prennent sur mon devoir

Et sur mes volontés un absolu pouvoir.

Chacun me veut forcer à suivre son caprice :

L’un a ses amitiés, l’autre a son avarice.

Ma mère veut Florange, et mon frère Alcidon.

Dans leurs divisions mon cœur à l’abandon

N’attend que leur accord pour souffrir et pour feindre.

Je n’ose qu’espérer, et je ne sais que craindre,

Ou plutôt je crains tout et je n’espère rien.

Je n’ose fuir mon mal, ni rechercher mon bien.

Dure sujétion ! étrange tyrannie !

Toute liberté donc à mon choix se dénie !

On ne laisse à mes yeux rien à dire à mon cœur,

Et par force un amant n’a de moi que rigueur.

Cependant il y va du reste de ma vie,

Et je n’ose écouter tant soit peu mon envie.

Il faut que mes désirs, toujours indifférents,

Aillent sans résistance au gré de mes parents,

Qui m’apprêtent peut-être un brutal, un sauvage :

Et puis cela s’appelle une fille bien sage !

Ciel, qui vois ma misère et qui fais les heureux,

Prends pitié d’un devoir qui m’est si rigoureux !

Acte V

Scène première

Célidan, Clarice

Célidan

N’espérez pas, madame, avec cet artifice,

Apprendre du forfait l’auteur ni le complice :

Je chéris l’un et l’autre, et crois qu’il m’est permis

De conserver l’honneur de mes plus chers amis.

L’un, aveuglé d’amour, ne jugea point de blâme

À ravir la beauté qui lui ravissait l’âme ;

Et l’autre l’assista par importunité :

C’est ce que vous saurez de leur témérité.

Clarice

Puisque vous le voulez, monsieur, je suis contente

De voir qu’un bon succès a trompé leur attente ;

Et me résolvant même à perdre à l’avenir,

De toute ma douleur l’odieux souvenir,

J’estime que la perte en sera plus aisée,

Si j’ignore les noms de ceux qui l’ont causée.

C’est assez que je sais qu’à votre heureux secours

Je dois tout le bonheur du reste de mes jours.

Philiste autant que moi vous en est redevable ;

S’il a su mon malheur, il est inconsolable ;

Et dans son désespoir sans doute qu’aujourd’hui

Vous lui rendez la vie en me rendant à lui.

Disposez du pouvoir et de l’un et de l’autre ;

Ce que vous y verrez, tenez-le comme au vôtre ;

Et souffrez cependant qu’on le puisse avertir

Que nos maux en plaisirs se doivent convertir.

La douleur trop longtemps règne sur son courage.

Célidan

C’est à moi qu’appartient l’honneur de ce message ;

Mon secours sans cela, comme de nul effet,

Ne vous aurait rendu qu’un service imparfait.

Clarice

Après avoir rompu les fers d’une captive,

C’est tout de nouveau prendre une peine excessive,

Et l’obligation que j’en vais vous avoir

Met la revanche hors de mon peu de pouvoir.

Ainsi dorénavant, quelque espoir qui me flatte,

Il faudra malgré moi que j’en demeure ingrate.

Célidan

En quoi que mon service oblige votre amour,

Vos seuls remerciements me mettent à retour.

Scène II

Célidan

Qu’Alcidon maintenant soit de feu pour Clarice,

Qu’il ait de son parti sa traîtresse nourrice,

Que d’un ami trop simple il fasse un ravisseur,

Qu’il querelle Philiste, et néglige sa sœur,

Enfin qu’il aime, dupe, enlève, feigne, abuse,

Je trouve mieux que lui mon compte dans sa ruse :

Son artifice m’aide, et succède si bien,

Qu’il me donne Doris, et ne lui laisse rien.

Il semble n’enlever qu’à dessein que je rende,

Et que Philiste après une faveur si grande

N’ose me refuser celle dont ses transports

Et ses faux mouvements font rompre les accords.

Ne m’offre plus Doris, elle m’est toute acquise ;

Je ne la veux devoir, traître, qu’à ma franchise ;

Il suffit que ta ruse ait dégagé sa foi :

Cesse tes compliments, je l’aurai bien sans toi.

Mais pour voir ces effets allons trouver le frère :

Notre heur s’accorde mal avecque sa misère,

Et ne peut s’avancer qu’en lui disant le sien.

Scène III

Alcidon, Célidan