Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/187

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Et son feu pour les satisfaire
N’a pas moins besoin de me plaire,
Que j’en ai de lui voir approuver mes soupirs.
Madame, on est bien fort quand on parle soi-même,
Et qu’on peut dire au souverain :
" J’aime et je suis aimé, vous aimez comme j’aime ;
Achevez mon bonheur, j’ai le vôtre en ma main. "

elpinice

Vous ne songez qu’à vous, et dans votre âme éprise
Vos vœux se tiennent sûrs d’un prompt et plein effet.
Mais que fera Cotys, à qui je suis promise ?
Me rendra-t-il ma foi s’il n’est point satisfait ?

spitridate

La perte de ma sœur lui servira de guide
À tourner ses désirs du côté d’Aglatide.
D’ailleurs que pourra-t-il, si contre Agésilas
Ce grand homme ni moi nous ne le servons pas ?

elpinice

Il a parole de mon père
Que vous n’obtiendrez rien à moins qu’il soit content ;
Et mon père n’est pas un esprit inconstant
Qui donne une parole incertaine et légère.
Je vous le dis encor, Seigneur, pensez-y bien:
Cotys aura Mandane, ou vous n’obtiendrez rien.

spitridate

Dites, dites un mot, et ma flamme enhardie…

elpinice

Que voulez-vous que je vous dise ?
Je suis sujette et fille, et j’ai promis ma foi;
Je dépends d’un amant, et d’un père, et d’un roi.

spitridate

N’importe, ce grand mot produirait des miracles.
Un amant avoué renverse tous obstacles :
Tout lui devient possible, il fléchit les parents,
Triomphe des rivaux, et brave les tyrans.
Dites donc, m’aimez-vous ?

elpinice

Que ma sœur est heureuse.

spitridate

Quand mon amour pour vous la laisse sans amant.
Son destin est-il si charmant
Que vous en soyez envieuse ?

elpinice

Elle est indifférente, et ne s’attache à rien.

spitridate

Et vous ?

elpinice

Que n’ai-je un cœur qui soit comme le sien !

spitridate

Le vôtre est-il moins insensible ?

elpinice

S’il ne tenait qu’à lui que tout vous fût possible,
Le devoir et l’amour…

spitridate

Ah ! Madame, achevez :
Le devoir et l’amour, que vous feraient-ils faire ?

elpinice

Voyez le roi, voyez Cotys, voyez mon père :
Fléchissez, triomphez, bravez,
Seigneur, mais laissez-moi me taire.

spitridate

Venez, ma sœur, venez aider mes tristes feux
À combattre un injuste et rigoureux silence.

elpinice

Hélas ! Il est si bien de leur intelligence,
Qu’il vous dit plus que je ne veux.
J’en dois rougir. Adieu : voyez avec Madame
Le moyen le plus propre à servir votre flamme.
Des trois dont je dépens elle peut tout sur deux :
L’un hautement l’adore, et l’autre au fond de l’âme ;
Et son destin lui-même, ainsi que notre sort,
Dépend de les mettre d’accord.


Scène II

Spitridate, Mandane
spitridate

Il est temps de résoudre avec quel artifice
Vous pourrez en venir à bout,
Vous, ma sœur, qui tantôt me répondiez de tout,
Si j’avais le cœur d’Elpinice.
Il est à moi ce cœur, son silence le dit,
Son adieu le fait voir, sa fuite le proteste ;
Et si je n’obtiens pas le reste,
Vous manquez de parole, ou du moins de crédit.

mandane

Si le don de ma main vous peut donner la sienne,
Je vous sacrifierai tout ce que j’ai promis ;
Mais vous, répondez-vous que ce don vous l’obtienne,
Et qu’il mette d’accord de si fiers ennemis ?
Le roi, qui vous refuse à Lysander pour gendre,
Y consentira-t-il si vous m’offrez à lui ?
Et s’il peut à ce prix le permettre aujourd’hui,
Lysander voudra-t-il se rendre ?
Lui qui ne vous remet votre première foi
Qu’en faveur de l’amour que Cotys fait paraître,
Ne vous fait-il pas cette loi
Que sans le rendre heureux vous ne le sauriez être ?

spitridate

Cotys de cet espoir ose en vain se flatter :
L’amour d’Agésilas à son amour s’oppose.

mandane

Et si vous ne pensez à le mieux écouter,
Lysander d’Elpinice en sa faveur dispose.

spitridate

Ne me cachez rien, vous l’aimez.

mandane