Et son feu pour les satisfaire
N’a pas moins besoin de me plaire,
Que j’en ai de lui voir approuver mes soupirs.
Madame, on est bien fort quand on parle soi-même,
Et qu’on peut dire au souverain :
" J’aime et je suis aimé, vous aimez comme j’aime ;
Achevez mon bonheur, j’ai le vôtre en ma main. "
Vous ne songez qu’à vous, et dans votre âme éprise
Vos vœux se tiennent sûrs d’un prompt et plein effet.
Mais que fera Cotys, à qui je suis promise ?
Me rendra-t-il ma foi s’il n’est point satisfait ?
La perte de ma sœur lui servira de guide
À tourner ses désirs du côté d’Aglatide.
D’ailleurs que pourra-t-il, si contre Agésilas
Ce grand homme ni moi nous ne le servons pas ?
Il a parole de mon père
Que vous n’obtiendrez rien à moins qu’il soit content ;
Et mon père n’est pas un esprit inconstant
Qui donne une parole incertaine et légère.
Je vous le dis encor, Seigneur, pensez-y bien:
Cotys aura Mandane, ou vous n’obtiendrez rien.
Dites, dites un mot, et ma flamme enhardie…
Que voulez-vous que je vous dise ?
Je suis sujette et fille, et j’ai promis ma foi;
Je dépends d’un amant, et d’un père, et d’un roi.
N’importe, ce grand mot produirait des miracles.
Un amant avoué renverse tous obstacles :
Tout lui devient possible, il fléchit les parents,
Triomphe des rivaux, et brave les tyrans.
Dites donc, m’aimez-vous ?
Que ma sœur est heureuse.
Quand mon amour pour vous la laisse sans amant.
Son destin est-il si charmant
Que vous en soyez envieuse ?
Elle est indifférente, et ne s’attache à rien.
Et vous ?
Que n’ai-je un cœur qui soit comme le sien !
Le vôtre est-il moins insensible ?
S’il ne tenait qu’à lui que tout vous fût possible,
Le devoir et l’amour…
Ah ! Madame, achevez :
Le devoir et l’amour, que vous feraient-ils faire ?
Voyez le roi, voyez Cotys, voyez mon père :
Fléchissez, triomphez, bravez,
Seigneur, mais laissez-moi me taire.
Venez, ma sœur, venez aider mes tristes feux
À combattre un injuste et rigoureux silence.
Hélas ! Il est si bien de leur intelligence,
Qu’il vous dit plus que je ne veux.
J’en dois rougir. Adieu : voyez avec Madame
Le moyen le plus propre à servir votre flamme.
Des trois dont je dépens elle peut tout sur deux :
L’un hautement l’adore, et l’autre au fond de l’âme ;
Et son destin lui-même, ainsi que notre sort,
Dépend de les mettre d’accord.
Scène II
Il est temps de résoudre avec quel artifice
Vous pourrez en venir à bout,
Vous, ma sœur, qui tantôt me répondiez de tout,
Si j’avais le cœur d’Elpinice.
Il est à moi ce cœur, son silence le dit,
Son adieu le fait voir, sa fuite le proteste ;
Et si je n’obtiens pas le reste,
Vous manquez de parole, ou du moins de crédit.
Si le don de ma main vous peut donner la sienne,
Je vous sacrifierai tout ce que j’ai promis ;
Mais vous, répondez-vous que ce don vous l’obtienne,
Et qu’il mette d’accord de si fiers ennemis ?
Le roi, qui vous refuse à Lysander pour gendre,
Y consentira-t-il si vous m’offrez à lui ?
Et s’il peut à ce prix le permettre aujourd’hui,
Lysander voudra-t-il se rendre ?
Lui qui ne vous remet votre première foi
Qu’en faveur de l’amour que Cotys fait paraître,
Ne vous fait-il pas cette loi
Que sans le rendre heureux vous ne le sauriez être ?
Cotys de cet espoir ose en vain se flatter :
L’amour d’Agésilas à son amour s’oppose.
Et si vous ne pensez à le mieux écouter,
Lysander d’Elpinice en sa faveur dispose.
Ne me cachez rien, vous l’aimez.