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Ce choix ne tombera que sur les plus infâmes.

Honorie

Tu pourrais être lâche et cruel jusque-là !

Attila

Encor plus, s’il le faut, mais toujours Attila,
Toujours l’heureux objet de la haine publique,
Fidèle au grand dépôt du pouvoir tyrannique,
Toujours…

Honorie

Achève, et dis que tu veux en tout lieu
Être l’effroi du monde, et le fléau de Dieu.
Étale insolemment l’épouvantable image
De ces fleuves de sang où se baignait ta rage.
Fais voir…

Attila

Que vous perdez de mots injurieux
À me faire un reproche et doux et glorieux !
Ce dieu dont vous parlez, de temps en temps sévère,
Ne s’arme pas toujours de toute sa colère ;
Mais quand à sa fureur il livre l’univers,
Elle a pour chaque temps des déluges divers.
Jadis, de toutes parts faisant regorger l’onde,
Sous un déluge d’eaux il abîma le monde ;
Sa main tient en réserve un déluge de feux
Pour le dernier moment de nos derniers neveux ;
Et mon bras, dont il fait aujourd’hui son tonnerre,
D’un déluge de sang couvre pour lui la terre.

Honorie

Lorsque par les tyrans il punit les mortels,
Il réserve sa foudre à ces grands criminels,
Qu’il donne pour supplice à toute la nature,
Jusqu’à ce que leur rage ait comblé la mesure.
Peut-être qu’il prépare en ce même moment
À de si noirs forfaits l’éclat du châtiment,
Qu’alors que ta fureur à nous perdre s’apprête,
Il tient le bras levé pour te briser la tête,
Et veut qu’un grand exemple oblige de trembler
Quiconque désormais t’osera ressembler.

Attila

Eh bien ! En attendant ce changement sinistre,
J’oserai jusqu’au bout lui servir de ministre,
Et faire exécuter toutes ses volontés
Sur vous et sur des rois contre moi révoltés.
Par des crimes nouveaux je punirai les vôtres,
Et mon tour à périr ne viendra qu’après d’autres.

Honorie

Ton sang, qui chaque jour, à longs flots distillés,
S’échappe vers ton frère et six rois immolés,
Te dirait-il trop bas que leurs ombres t’appellent ?
Faut-il que ces avis par moi se renouvellent ?
Vois, vois couler ce sang qui te vient avertir,
Tyran, que pour les joindre il faut bientôt partir.

Attila

Ce n’est rien ; et pour moi s’il n’est point d’autre foudre,
J’aurai pour ce départ du temps à m’y résoudre.
D’autres vous envoiraient leur frayer le chemin ;
Mais j’en laisserai faire à votre grand destin,
Et trouverai pour vous quelques autres vengeances,
Quand l’humeur me prendra de punir tant d’offenses.


Scène IV


Attila

Où venez-vous, madame, et qui vous enhardit
À vouloir voir ma mort qu’ici l’on me prédit ?
Venez-vous de deux rois soutenir la querelle,
Vous révolter comme eux, me foudroyer comme elle,
Ou mendier l’appui de mon juste courroux
Contre votre Ardaric qui ne veut plus de vous ?

Ildione

Il n’en mériterait ni l’amour ni l’estime,
S’il osait espérer m’acquérir par un crime.
D’un si juste refus j’ai de quoi me louer,
Et ne viens pas ici pour l’en désavouer.
Non, seigneur : c’est du mien que j’y viens me dédire,
Rendre à mes yeux sur vous leur souverain empire,
Rattacher, réunir votre vouloir au mien,
Et reprendre un pouvoir dont vous n’usez pas bien.
Seigneur, est-ce là donc cette reconnaissance
Si hautement promise à mon obéissance ?
J’ai quitté tous les miens sous l’espoir d’être à vous ;
Par votre ordre mon coeur quitte un espoir si doux,
Je me réduis au choix qu’il vous a plu me faire,
Et votre ordre le met hors d’état de me plaire !
Mon respect qui me livre aux voeux d’un autre roi
N’y voit pour lui qu’opprobre, et que honte pour moi !
Rendez, rendez-le-moi, cet empire suprême
Qui ne vous laissait plus disposer de vous-même :
Rendez toute votre âme à son premier souhait,
Recevez qui vous aime, et fuyez qui vous hait.
Honorie a ses droits ; mais celui de vous plaire
N’est pas, vous le savez, un droit imaginaire ;
Et pour vous appuyer, Mérouée a des bras
Qui font taire les droits quand il faut des combats.

Attila

Non, je ne puis plus voir cette ingrate Honorie
Qu’avec la même horreur qu’on voit une furie ;
Et tout ce que le ciel a formé de plus doux,
Tout ce qu’il peut de mieux, je crois le voir en vous ;
Mais dans votre coeur même un autre amour murmure,
Lorsque…

Ildione