Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/217

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où lui pouvez-vous échapper que par là ?
Pouvez-vous que par là posséder Honorie ?
Et d’où naîtra ce fils, si vous perdez la vie ?

Valamir

Je me vois comme vous aux portes du trépas ;
Mais j’espère, après tout, ce que je n’entends pas.


Scène II


Honorie

Savez-vous d’Attila jusqu’où va la furie,
Princes, et quelle en est l’affreuse barbarie ?
Cette offre qu’il vous fait d’en rendre l’un heureux
N’est qu’un piége qu’il tend pour vous perdre tous deux.
Il veut, sous cet espoir qu’il donne à l’un et l’autre,
Votre sang de sa main, ou le sien de la vôtre ;
Mais qui le servirait serait bientôt livré
Aux troupes de celui qu’il aurait massacré ;
Et par le désaveu de cette obéissance
Ce tigre assouvirait sa rage et leur vengeance.
Octar aime Flavie, et l’en vient d’avertir.

Valamir

Euric, son lieutenant, ne fait que de sortir :
Le tyran soupçonneux, qui craint ce qu’il mérite,
A pour nous désarmer choisi ce satellite ;
Et comme avec justice il nous croit irrités,
Pour nous parler encore il prend ses sûretés.
Pour peu qu’il eût tardé, nous allions dans sa tente
Surprendre et prévenir sa plus barbare attente,
Tandis qu’il nous laissait encor la liberté
D’y porter l’un et l’autre une épée au côté.
Il promet à tous deux de nous la faire rendre,
Dès qu’il saura de nous ce qu’il en doit attendre,
Quel est notre dessein, ou pour en mieux parler,
Dès que nous résoudrons de nous entr’immoler.
Cependant il réduit à l’entière impuissance
Ce noble désespoir qui punit par avance,
Et qui se faisant droit avant que de mourir,
Croit que se perdre ainsi, c’est un peu moins périr ;
Car nous aurions péri par les mains de sa garde ;
Mais la mort est plus belle alors qu’on la hasarde.

Honorie

Il vient, seigneur.



Scène III


Attila

Eh bien ! Mes illustres amis,
Contre mes grands rivaux quel espoir m’est permis ?
Pas un n’a-t-il pour soi la digne complaisance
D’acquérir sa princesse en perdant qui m’offense ?
Quoi ? L’amour, l’amitié, tout va d’un froid égal !
Pas un ne m’aime assez pour haïr mon rival !
Pas un de son objet n’a l’âme assez ravie
Pour vouloir être heureux aux dépens d’une vie !
Quels amis ! Quels amants ! Et quelle dureté !
Daignez, daignez du moins la mettre en sûreté :
Si ces deux intérêts n’ont rien qui la fléchisse,
Que l’horreur de mourir, à leur défaut, agisse ;
Et si vous n’écoutez l’amitié ni l’amour,
Faites un noble effort pour conserver le jour.

Valamir

À l’inhumanité joindre la raillerie,
C’est à son dernier point porter la barbarie.
Après l’assassinat d’un frère et de six rois,
Notre tour est venu de subir mêmes lois ;
Et nous méritons bien les plus cruels supplices
De nous être exposés aux mêmes sacrifices,
D’en avoir pu souffrir chaque jour de nouveaux.
Punissez, vengez-vous, mais cherchez des bourreaux ;
Et si vous êtes roi, songez que nous le sommes.

Attila

Vous ? Devant Attila vous n’êtes que deux hommes ;
Et dès qu’il m’aura plu d’abattre votre orgueil,
Vos têtes pour tomber n’attendront qu’un coup d’oeil.
Je fais grâce à tous deux de n’en demander qu’une :
Faites-en décider l’épée et la fortune ;
Et qui succombera du moins tiendra de moi
L’honneur de ne périr que par la main d’un roi.
Nobles gladiateurs, dont ma colère apprête
Le spectacle pompeux à cette grande fête,
Montrez, montrez un coeur enfin digne du rang.

Ardaric

Votre main est plus faite à verser de tel sang ;
C’est lui faire un affront que d’emprunter les nôtres.

Attila

Pour me faire justice il s’en trouvera d’autres ;
Mais si vous renoncez aux objets de vos voeux,
Le refus d’une tête en pourra coûter deux.
Je révoque ma grâce, et veux bien que vos crimes
De deux rois mes rivaux me fassent deux victimes ;
Et ces rares objets si peu dignes de moi
Seront le digne prix de cet illustre emploi.
De celui de vos feux je ferai la conquête
De quiconque à mes pieds abattra votre tête.
Et comme vous paierez celle de Valamir,
Nous aurons à ce prix des bourreaux à choisir ;
Et pour nouveau supplice à de si belles flammes,