Page:Corneille - Le Cid, Searles, 1912.djvu/111

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Car Chimène aisément montre par sa conduite
Que la haine aujourd’hui ne fait pas sa poursuite.
Elle obtient un combat, et pour son combattant
C’est le premier offert qu’elle accepte à l’instant :
Elle n’a point recours à ces mains généreuses
Que tant d’exploits fameux rendent si glorieuses ;
Don Sanche lui suffit, et mérite son choix,
Parce qu’il va s’armer pour la première fois.
Elle aime en ce duel son peu d’expérience ;
Comme il est sans renom, elle est sans défiance ;
Et sa facilité vous doit bien faire voir
Qu’elle cherche un combat qui force son devoir,
Qui livre à son Rodrigue une victoire aisée,
Et l’autorise enfin à paraître apaisée.

L’Infante

Je le remarque assez, et toutefois mon cœur
À l’envi de Chimène adore ce vainqueur.
À quoi me résoudrai-je, amante infortunée ?

Léonor

À vous mieux souvenir de qui vous êtes née :
Le ciel vous doit un roi, vous aimez un sujet !

L’Infante

Mon inclination a bien changé d’objet.
Je n’aime plus Rodrigue, un simple gentilhomme ;
Non, ce n’est plus ainsi que mon amour le nomme :
Si j’aime, c’est l’auteur de tant de beaux exploits,
C’est le valeureux Cid, le maître de deux rois.
Je me vaincrai pourtant, non de peur d’aucun blâme,
Mais pour ne troubler pas une si belle flamme ;
Et quand pour m’obliger on l’aurait couronné,
Je ne veux point reprendre un bien que j’ai donné.