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Page:Corneille - Le Cid, Searles, 1912.djvu/138

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LE CID

de vertu, s’accommodassent au goût et aux souhaits de leurs spectateurs, et fortifiassent l’horreur qu’ils avaient conçue de leur domination et de la monarchie.

Rodrigue suit ici son devoir sans rien relâcher de sa passion ; Chimène fait la même chose à son tour, sans laisser ébranler son dessein par la douleur où elle se voit abîmée par là ; et si la présence de son amant lui fait faire quelque faux pas, c’est une glissade dont elle se relève à l’heure même ; et non seulement elle connaît si bien sa faute qu’elle nous en avertit, mais elle fait un prompt désaveu de tout ce qu’une vue si chère lui a pu arracher. Il n’est point besoin qu’on lui reproche qu’il lui est honteux de souffrir l’entretien de son amant après qu’il a tué son père ; elle avoue que c’est la seule prise que la médisance aura sur elle. Si elle s’emporte jusqu’à lui dire qu’elle veut bien qu’on sache qu’elle l’adore et le poursuit, ce n’est point une résolution si ferme, qu’elle l’empêche de cacher son amour de tout son possible lorsqu’elle est en la présence du roi. S’il lui échappe de l’encourager au combat contre don Sanche par ces paroles :

Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix,

elle ne se contente pas de s’enfuir de honte au même moment ; mais sitôt qu’elle est avec Elvire, à qui elle ne déguise rien de ce qui se passe dans son âme, et que la vue de ce cher objet ne lui fait plus de violence, elle forme un souhait plus raisonnable, qui satisfait sa vertu et son amour tout ensemble, et demande au ciel que le combat se termine

Sans faire aucun des deux ni vaincu ni vainqueur.

Si elle ne dissimule point qu’elle penche du côté de Rodrigue, de peur d’être à Don Sanche, pour qui elle a de l’aversion, cela ne détruit point la protestation qu’elle a faite un peu auparavant, que malgré la loi de ce combat, et les promesses que le roi a faites à Rodrigue, elle lui fera mille autres