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EXAMEN

idée. J’ai cru plus à propos de les dérober à son imagination par mon silence, aussi bien que le lieu précis de ces quatre scènes du premier acte dont je viens de parler ; et je m’assure que cet artifice m’a si bien réussi, que peu de personnes ont pris garde à l’un ni à l’autre, et que la plupart des spectateurs, laissant emporter leurs esprits à ce qu’ils ont vu et entendu de pathétique en ce poème, ne se sont point avisés de réfléchir sur ces deux considérations.

J’achève par une remarque sur ce que dit Horace, que ce qu’on expose à la vue touche bien plus que ce qu’on n’apprend que par un récit.

C’est sur quoi je me suis fondé pour faire voir le soufflet que reçoit don Diègue, et cacher aux yeux la mort du comte, afin d’acquérir et conserver à mon premier acteur l’amitié des auditeurs, si nécessaire pour réussir au théâtre. L’indignité d’un affront fait à un vieillard, chargé d’années et de victoires, les jette aisément dans le parti de l’offensé ; et cette mort, qu’on vient dire au roi tout simplement sans aucune narration touchante, n’excite point en eux la commisération qu’y eût fait naître le spectacle de son sang, et ne leur donne aucune aversion pour ce malheureux amant, qu’ils ont vu forcé par ce qu’il devait à son honneur d’en venir à cette extrémité, malgré l’intérêt et la tendresse de son amour.