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ACTE III, SCÈNE V.

Et s’il m’épargneroit, voyant par mes bontés
Une seconde fois ses desseins avortés.
Te dirais-je un penser indigne, bas et lâche ?
Je l’étouffe, il renaît ; il me flatte et me fâche :
L’ambition toujours me le vient présenter,
Et tout ce que je puis, c’est de le détester.
Polyeucte est ici l’appui de ma famille ;
Mais si, par son trépas, l’autre épousoit ma fille,
J’acquerrois bien par là de plus puissans appuis,
Qui me mettroient plus haut cent fois que je ne suis.
Mon cœur en prend par force une maligne joie :
Mais que plutôt le ciel à tes yeux me foudroie,
Qu’à des pensers si bas je puisse consentir,
Que jusque-là ma gloire ose se démentir !

ALBIN.

Votre cœur est trop bon, et votre âme trop haute.
Mais vous résolvez-vous à punir cette faute ?

FÉLIX.

Je vais dans la prison faire tout mon effort
À vaincre cet esprit par l’effroi de la mort ;
Et nous verrons après ce que pourra Pauline.

ALBIN.

Que ferez-vous enfin, si toujours il s’obstine ?

FÉLIX.

Ne me presse point tant ; dans un tel déplaisir
Je ne puis que résoudre, et ne sais que choisir.

ALBIN.

Je dois vous avertir, en serviteur fidèle,
Qu’en sa faveur déjà la ville se rebelle,
Et ne peut voir passer par la rigueur des lois
Sa dernière espérance et le sang de ses rois.
Je tiens sa prison même assez mal assurée ;
J’ai laissé tout autour une troupe éplorée ;
Je crains qu’on ne la force.

FÉLIX.

Je crains qu’on ne la force.Il faut donc l’en tirer,
Et l’amener ici pour nous en assurer.