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POLYEUCTE.

C’en est assez, Félix, reprenez ce courroux,
Et sur cet insolent vengez vos dieux, et vous.

PAULINE.

Ah ! Mon père, son crime à peine est pardonnable ;
Mais s’il est insensé, vous êtes raisonnable,
La nature est trop forte, et ses aimables traits
Imprimés dans le sang ne s’effacent jamais :
Un père est toujours père, et sur cette assurance
J’ose appuyer encore un reste d’espérance.
Jetez sur votre fille un regard paternel :
Ma mort suivra la mort de ce cher criminel ;
Et les dieux trouveront sa peine illégitime,
Puisqu’elle confondra l’innocence et le crime,
Et qu’elle changera, par ce redoublement,
En injuste rigueur un juste châtiment ;
Nos destins, par vos mains rendus inséparables,
Nous doivent rendre heureux ensemble, ou misérables ;
Et vous seriez cruel jusques au dernier point,
Si vous désunissiez ce que vous avez joint.
Un cœur à l’autre uni jamais ne se retire,
Et pour l’en séparer il faut qu’on le déchire.
Mais vous êtes sensible à mes justes douleurs,
Et d’un œil paternel vous regardez mes pleurs.

FÉLIX.

Oui, ma fille, est il vrai qu’un père est toujours père ;
Rien n’en peut effacer le sacré caractère ;
Je porte un cœur sensible, et vous l’avez percé.
Je me joins avec vous contre cet insensé.
Malheureux Polyeucte, es-tu seul insensible ?
Et veux-tu rendre seul ton crime irrémissible ?
Peux-tu voir tant de pleurs d’un œil si détaché ?
Peux-tu voir tant d’amour sans en être touché ?
Ne reconnois-tu plus ni beau-père, ni femme,
Sans amitié pour l’un, et pour l’autre sans flamme ?
Pour reprendre les noms et de gendre et d’époux,
Veux-tu nous voir tous deux embrasser tes genoux ?

POLYEUCTE.

Que tout cet artifice est de mauvaise grâce !