Page:Corneille - Pulcherie, Luynes, 1673.djvu/26

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Le souvenir en tue, et l'on ne l'envisage
Qu'avec, s'il le faut dire, une espèce de rage ;
On le repousse, on fait cent projets superflus :
Le trait qu'on porte au cœur s'enfonce d'autant plus ;
Et ce feu, que de honte on s'obstine à contraindre,
Redouble par l'effort qu'on se fait pour l'éteindre.

'JUSTINE' — Instruit que vous étiez des maux que fait l'amour,
Vous en pouviez, seigneur, empêcher le retour,
Contre toute sa ruse être mieux sur vos gardes.

'MARTIAN' — Et l'ai-je regardé comme tu le regardes,
Moi qui me figurois que ma caducité
Près de la beauté même était en sûreté ?
Je m'attachais sans crainte à servir la princesse,
Fier de mes cheveux blancs, et fort de ma faiblesse ;
Et quand je ne pensais qu'à remplir mon devoir,
Je devenais amant sans m'en apercevoir.
Mon âme, de ce feu nonchalamment saisie,
Ne l'a point reconnu que par ma jalousie :
Tout ce qui l'approchait voulait me l'enlever,
Tout ce qui lui parlait cherchait à m'en priver ;
Je tremblais qu'à leurs yeux elle ne fût trop belle ;
Je les haïssais tous, comme plus dignes d'elle,
Et ne pouvais souffrir qu'on s'enrichît d'un bien
Que j'enviais à tous sans y prétendre rien.
Quel supplice d'aimer un objet adorable,
Et de tant de rivaux se voir le moins aimable !
D'aimer plus qu'eux ensemble, et n'oser de ses feux,
Quelques ardents qu'ils soient, se promettre autant qu'eux !
On aurait deviné mon amour par ma peine,
Si la peur que j'en eus n'avait fui tant de gêne.
L'auguste Pulchérie avait beau me ravir,
J'attendais à la voir qu'il la fallût servir :
Je fis