Page:Corneille - Pulcherie, Luynes, 1673.djvu/53

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pénétré l'ambition secrète
Jusques à pressentir l'offre qu'il vous a faite.
Puisque en vain je m'attache à qui ne m'aime pas,
Il faut avec honneur franchir ce mauvais pas :
Il faut, à son exemple, avoir ma politique,
Trouver à ma disgrâce une face héroïque,
Donner à ce divorce une illustre couleur,
Et sous de beaux dehors dévorer ma douleur.
Dites-moi cependant, que deviendra mon frère ?
D'un si parfait amour que faut-il qu'il espère ?
On l'aime, et fortement, et bien plus qu'on ne veut ;

'JUSTINE' — Mais pour s'en détacher, on fait tout ce qu'on peut.
Faut-il vous dire tout ? On m'a commandé même
D'essayer contre lui l'art et le stratagème.
On me devra beaucoup si je puis l'ébranler,
On me donne son cœur, si je le puis voler ;
Et déjà pour essai de mon obéissance,
J'ai porté quelque attaque, et fait un peu d'avance.
Vous pouvez bien juger comme il a rebuté,
Fidèle amant qu'il est, cette importunité ;
Mais pour peu qu'il vous plût appuyer l'artifice,
Cet appui tiendrait lieu d'un signalé service.

'IRÈNE' — Ce n'est point un service à prétendre de moi
Que de porter mon frère à garder mal sa foi ;
Et quand à vous aimer j'aurais su le réduire,
Quel fruit son changement pourrait-il lui produire ?
Vous qui ne l'aimez point, pourriez-vous l'accepter ?

'JUSTINE' — Léon ne sauroit être un homme à rejeter ;
Et l'on voit si souvent, après la foi donnée,
Naître un parfait amour d'un pareil hyménée,
Que si de son côté j'y voyais quelque jour,
J'espérerais bientôt de l'aimer à mon tour.

'IRÈNE'