Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/128

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embrasse en pleurant : « Que leur peau est douce, et suave leur haleine. » Ainsi, au fond du cœur de Médée; l'amour maternel vit encore; mais l'orgueil offensé IVtouffe : n'aura-t-elle pas la force de se venger? Apprètera-t-elle à rire à ses ennemis? Déjà deux d'entre eux ont péri : cette parure, dont la coquetle prin- cesse s'est revêtue avec une joie tout enfantine, a déjà accompli son œuvre sinistre : Creuse est morte, et son père, en voulant la secourir, a péri comme elle. Triomphante, Médée s'exalte de plus en plus dans sa haine; ses enfants prennent peur, appellent au secours, se pressent en se lamentant vers la porte, qu'ils trouvent fermée. Bientôt leur voix s'éteint, le crime est accompli; dans les airs apparaît Médée, montée sur un char magique qui va l'emporter vers Athènes; elle jouit à loisir du désespoir de Jason, qu'elle rend seul responsable du meurtre de ses enfants: « Ornes fils, vous périssez victimes de la perfidie d'un père! » Elle refuse à ce père désespéré la triste joie d'ensevelir ces corps innocents.

Dans ses Études sur les tragiques grecs. M. Patin essaye de relever la bassesse du caractère de Jason en faisant ressortir la sincère vivacité de son amour paternel; mais il faut avouer que cet amour paternel tarde quelque peu à se manifester par des signes visibles. Dans toute la première partie de la pièce. Jason se résiguesans effort à se séparer de ses enfants, aies voir suivre leur mère eu exil. Ce n'est pas de lui-même qu'il a l'idée de sol- liciter leur grâce. S'il aime a mettre en avant leur intérêt, c'est qu'il a honte de parler seulement du sien, c'est qu'il y voit une excuse bonorabie d'ime conduite qui le déshonore. Autant donc est énergique et naturelle la peinture du caractère de Médée, autant le caractère de Jason est fait pom- décourager la sympa- thie. Aucun artifice ne peut excuser le crime de la mère, mais on peut le rendre vraisemblable, et Euripide y a réussi. Est-ce pour mieux atteindre ce but qu'il a fait son Jason si odieux, disons plus, si répugnant? Quoi qu'il fasse pourtant, il y a dans ces situations et ces sentiments imposés par la légeude quelque chose de pénible que tout son art n'a pu dissimuler. Ajoutons-y les froides dissertations qui lui sont familières et qui glacent les scènes les plus pathétiques, les froides déclamations contre les femmes, les traits d'esprit, les maximes philosophiques prodiguées hors de leur place, et nous comprendrons comment une tragédie, si émouvante par endroits, produit une impression d'ensemble si équivoque.

Qu'ont fait de ces deux caractères les poètes qui ont suivi? Ils semblent s'être appliqués a gâter les beautés de l'un, comme à exagérer les défauts de l'autre: Médée, ce personnage si vraiment tragique et humain, est devenue chez eux une héroïne de tragi-comédie fantastique; Jason, déjà tragi-comique, devient plus ridi-