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!4 LE CID

entre deux œuvres si dissemblables. « Roman de chevalerie, pour ainsi dire historique, écrit M. Villemain *, ce Poème du Cid est un des monuments les plus curieux du moyen-âge. » Il ne le serait pas médiocrement sans doute, s'il nous offrait à la fois le roman et l'histoire. Par malheur, ce sont choses qui s'excluent le plus souvent, et ici, c'est bien le roman qui domine, au détriment de l'histoire. Oui le poème est admi- rable en certaines de ses parties; mais prenons-le pour ce qu'il est, pour une fiction. Le vrai Rodrigue s'attendrissait-il si aisément? Qu'on se rappelle ses»revêches flançailles dans la Chronique rimée et qu'on les compare avec les tendres adieux que, dans le ¥oème du Cid, il adresse à .sa femme et à , ses filles, on sentira qu'Achille a fait place à Énée. Le héros ' s'est humanisé, mais aussi peut-être un peu amolli. Il a le don des larmes faciles. Il pleure sur sa maison qu'il va quitter pour l'exil; il pleure sur les siens qui vivront éloignés du plus tendre des époux et des pères. Cette douleur est bien humaine assurément, et souvent bien poignante dans la simplicité de son expression : « Pleurant de leurs yeux, que vous n'avez rien vu de pareil! ils se séparent des uns des autres comme l'ongle de la chair »>. Nous sentons ce qu'il y a là de sincère et d'émouvant; mais, quoi qu'en dise M. Villemain, nous sommes bien loin de l'histoire.

Encore cette première partie du poème repose-t-elle sur \ir^ fait réel, l'exil de Rodrigue. Mais la seconde nous introduit en pleine fantaisie. Rentré en grâce près du roi, Rodrigue a marié ses deux filles, dona Elvire et dona Sol, aux infants de Carrion, princes orgueilleux, mais vils, à qui l'alliance d'un tel parvenu semble avantageuse. Leur lâcheté ne tarde pas à paraître au grand jour : un lion échappé leur cause une pué- rile frayeur. L'un se blottit sous le fauteuil du Cid endormi; l'autre se réfugie dans une retraite innommable. « En cet instant, le Cid, qui s'est réveillé, ayant prononcé une seule parole, l'animal furieux vient comme par miracle se coucher à ses pieds, soumis, caressant et remuant la queue en signe de joie. Le Cid se mit aussitôt à le caresser, et, lui ayant pris le cou dans ses deux bras, il le ramena dans sa cage, paisible et lui rendant caresses pour caresses. La foule resta slupélaite et étourdie à un tel spectacle, ne songeant pas qu'ils étaient deux lions, mais que le Cid était le plus brave des deux. » Ne croirait-on pas lire une page de la Légende des siècles, ot notre grand poète a précisément beaucoup emprunté aux vieilles épopées de France et d'Espagne?

i. Hittoire de la littérature du moyen âge.

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