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INTRODUCTION W

K émerveillé « d'une si précoce assurance, et ne caclie pas son admiration : « Celui-là n'est pas un homme, mais il a la mine d'un démon ».

Contradiction singulière : ce « démon » sait pratiquer la charité chrétienne. Seul il s'approche d'un lépreux dont tous s'écartent avec horreur, et qui gît enfoncé dans un marécage; il le relève, le fait monter en croupe derrière lui, partage uvec lui son repas et son lit, car il aime à servir les pauvres et il ne les oublie pas dans son testament. La récompense ne se fait pas longtemps attendre : pendant son sommeil, ce mendiant lui apparaît sous les traits de saint Lazare et pro- phétise sa gloire future. Rodrigue s'agenouille, rond grâces à Dieu et à sainte Marie, et reste en oraison jusqu'au jour. Dans le Romancero, c'est saint Pierre qui viendra lui annoncer sa mort prochaine, à peu près comme l'archange Gabriel descend du ciel pour recevoir l'âme de Roland.

Si l'on met à part cet épisode, qui tranche un peu sur ce fond d'une sauvagerie assez monotone, on ne voit guère le progrès accompli de l'histoire à la légende. Chimène est entrevue, mais pour disparaître bientôt. Son dédaigneux fiancé n'est qu'un jeune batailleur dont les conquêtes fabu- leuses nous touchent peu. Mais un rayon chrétien vient d'en haut, et ce dur visage en est comme attendri. C'est le premier degré de l'idéalisation.

Au contraire, les sentiments nnmains et tendres sura- bondent dans le Poème du Cid, longue composition de près de quatre mille vers, dont le début manque. Sanchez en avait publié la plus grande partie en 1779; don Eugénie de Ochoa compléta la publication de Sanchez au moyen de fragments découverts à notre Bibliothèque nationale (1842) et M. Damas- Hinard traduisit le tout (1858); mais on n'a pu fixer la date exacte de cette belle épopée, si virile à la fois et si pathétique, mais plus pathétique cucoie que virile. Elle serait du milieu du xii"^ siècle, selon M. Viardot, qui veut y voir un des pre- miers chefs-d'œuvre de l'Europe littéraire, écrit à une époque où l'Italie elle-même se taisait, oh Dante n'avait pas chanté encore. Selon Sainte-Beuve, elle aurait été composée à la fin du SM"' ou au début du xiii siècle. C'est le xni^ siècle enfin jue M. Villemain lui assigne conmie date. Mais ce ne sont là que des conjectures. Pour nous, sans essayer de résoudre ui? problème à peu près insoluble, nous pencherions volontiers vers la date la plus récente.

Ce qui nous frappe, en effet, tout d'abord, c'est combien le Poème du Cid est plus moderne par l'accent que la Chronique rirnée. Un siècle au moins, ce nous semble, a dû s'écouler

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