ACTE III, SCÈNE V 241
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer. 1 000
SCÈNE V.
D. DIÈGUE, seul.
Jamais nous ne goûtons de parfaite allégresse :
Nos plus heureux succès sont mêlés de tristesse;
Toujours quelques soucis en ces événements
Troublent la pureté de nos contentements.
Au milieu du bonheur mon âme en sent l'atteinte ; 1005
Je nage dans la joie, et je tremble de crainte.
J'ai vu mort l'ennemi qui m'avait outragé,
Et je ne saurais voir la main qui m'a vengé.
En vain je m'y travaille, et d'un soin inutile,
Tout cassé que je suis, je cours toute la ville : 1010
Ce peu que mes vieux ans m'ont laissé de vigueur
Se consume sans fruit à chercher ce vainqueur.
1000. Sur l'ensemble de ceUe scène, et chez Corneille, et chez Castro, voyei l'Introduction, p. 28 et 69. Voyez aussi la page 20 sur la comparaison de la seine suivante avec la scène espagnole, si différente de ton. « Y a-t-il un lecteur dit Voltaire, qui ne soit choque de voir Ghimène s'en aller d'un côté, Rodrigue de l'autre, et D. Diègue arriver sans les voir? Observez que, quand le cœur a été ému par les passions des deux premiers personnages, et qu'un troisième vient
Earler de lui-même, il touche peu, surtout quand il rompt le fil du discours. » a première observation est très juste, et peut s'appliquer à la pièce presque tout entière, car le lieu y reste presque toujours indéterminé. La seconde l'est moins peut-être, car l'arrivée de l'infante ou de don Sanche eût refroidi sans doute notre émotion ; seul, don Diègue peut succéder à Rodrigue et à Chimène et soutenir l'intérêt que tout autre personnage ferait languir.
1004. Nos contentements. Cornedle, on le sait, aime ces pluriels abstraits. Au reste, il s'est peut-être ici souvenu des vers célèbres de Lucrèce :
Medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid, quod in ipsis ftoribiD angat.
i009. 5e travailler à uneehose, c'est proprement s'y appliquer avec ardeur. Plus l'esprit s'y tranaille, et plas il s'y confond. [Imitation, IV, 2227.)
Soin a souvent au xvii* siècle le sens de souci, préoccupation de toute espèce
1010. U n'y a pas chez Corneille beaucoup d'exemples de courir pris acti^ vement.
Les petits enfants, sitôt qu'on m'aperi^it.
Me courent dans la rue et me montrent dn doigt. {Suite du Sfenteur, 302J
1011. Var. Si peu que mes vieux ans m'ont laissé de vignenr. (1637-S6.)
1012. Var. Se consomme sans fmit à chercher ce vaiDqaeor. (1617-44.)
Ici, comme au vers 1634, Corneille a corrigé la forme vieillie le consommer pour W consumer
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