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ACTE IV, SCENE V |39

SCÈNE V

HORACE, CAMILLE, PROCULE

{Procule porte en main les trois épées des Curiaces.)

HORACE.

Ma sœur, voici le bras qui veiif^c nos deux frères,

Le bras qui rompt le cours de nos des(ins contraires,

Qui nous rend maîtres d'Albe ; enfin voici le bras

Qui seul fait aujourd'hui le sort de deux États.

Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, 1253

Et rends ce que tu dois à l'heur de ma victoire.

CAMILLE.

Recevez donc mes pleurs, c'est ce que je lui dois.

HORACE.

Rome n'en veut point voir après de tels exploits.

Et nos deux frères morts dans le malheur des armes

Sont trop payés de sang pour exiger des larmes : i260

Quand la perte est vengée, on n'a plus rien perdu.

CAMILLE.

Puisqu'ils sont satisfaits par le sang répandu,

nous, qui nous montrent Camille s'étudiant à montrer son affliction et répétant pour ainsi dire, sa leçon de douleur. Mais, outre que ce monologue est néces- laire, comme on l'a déjà observé, il devait p'Jre aux contemporains, curieux de ces analyses morales, de ces 'traits brillants, de ces antithèses prolongées. Ajou- tons que ce monologue résume avec une délicatesse raffinée tous les événements qui se sont accomplis précédemment, tous les malheurs successifs qui ont éprouvé Camille, tous les sentiments opposés qu'elle a traversés, et, en éclairant mieux ainsi ce caractère, nous fait prévoir jusqu'à quel excès de désespoir il s'empor- tera tout à l'heure.

1251. Nous nous dispenserons de reproduire ici les longues critiques de Vol- taire et des commentateurs qui l'ont suivi. Sans vouloir justifier ce que le langage d'Horace a ici de puérilement yaniteui et de brutal, nous avons essayé dans l'Introduction de m ntrer la logique de ce caractère, qui, en dépit de Voltaire, ne subit pas ici de brusque métamorphose.

1256. Sur heur, pour bonlicur, voyez la note du vers 58.

1257. Dans el Honrado hermatio, de Lope de 'Véga, Julie, la Camille de Corneille, dit à peu près de même : « Je ne viens p-ts avec aUégresse célébrer ce jour, si ce n'est par mes pleurs. "

1260. Sont trop payés de sang, c'est-à-dire : sont trop vengés par le sang que j'ai répmdu.

1262. B Epandre indique, dans l'action, une sorte d'ordre et d'arrangcmen' qui n'est pas dans répandre. » (M. Littré.) Nous craignons que cette distinction ne soit illusoire, au moins pour ce qui regarde le xvii" siècle, Corneille dit souvent épandre son sang. (Mélite, 1510 ; Cid, 91 ; Rodogime, 582 ; Théodore, 1679.) Nous croyons donc, avec M. Marty-Laveaux, quépandre s'employait jadis aaos t«utes les acceptions que nous réservons aujourd'hui au composé répandri.

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