Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/190

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• CINNA

veut sacrifier à son père une victime qui serait trop graade pour Jupiter même. C'est à mon gré une personne si ex- cellente, que je pense dire peu à son avantage, de dire que vous êtes beaucoup plus heureux en votre race que Pompée n'a été en la sienne et que votre fille Emilie vaut, sans comparaison, davantage que Cinna, son petit-fils '. Si celui- ci même a plus de vertu que n'a cru Sénèque, c'est pour être tombé entre vos mains et à cause que vous avez pris soin de lui. Il vous est obligé de son mérite, comme à Auguste de sa dignité. L'empereur le fit consul, et vous l'avez fait honnête homme; mais vous l'avez pu faire par les lois d'un art qui polit et orne la vérité, qui permet de favoriser en imitant, qui quelquefois se propose le semblable et quelquefois le meilleur. J'en dirais trop si j'en disais davantage. Je ne veux pas commencer une dissertation, je veux finir une lettre, et conclure par les protestations ordi- naires, mais très sincères et très véritables, que je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

« Balzac, »

Faites la part de l'exagération déclamatoire, il restera le pius précieux, comme aussi le plus curieux des témoignages. Déjà Balzac était intervenu en faveur du Cid; mais combien le ton est ici plus chaleureux ! et comme le souvenir de la grande bataille est déjà loin ! Corneille règne paisiblement au théâtre; sa gloire incontestée s'impose même à ses enne- mis. Aux clameurs tumultueuses un grand silence a succédé : plus d'attaques et de ripostes passionnées, plus de pamphlets, plus de victoires chèrement achetées. Mais la lutte agrandi et mûri le poète, et Boileau a pu dire :

Au Cid persécuté Cinna dut sa naissance *.

A peine d'Aubignac hasardait-il quelques timides objections. Il louait dans Cinna l'unité rigoureuse de temps et d'action : « Le plus bel artifice est d'ouvrir le théâtre le plus près pos- sible de la catastrophe. Cinna avait déjà fait sa conspiration avant l'ouverture du théâtre, qui s'ouvre peu auparavant le sacrifice qui devait servir de prétexte à l'exécution^. » Même,

1. Il est remarquable que Balzac norame à peine Auguste: évidemment, à ses yeux, Emilie et Cinna sont les vrais héros de la tragédie. Le prince de Conti devait dire plus tard : « En voyant jouer Cinna, on se récrie beaucoup plus sur toutes les choses passionnées qu'il dit à Emilie et sur toutes celles qu'elle lui répond que sur la clémence d'Auguste, à laquelle on songe peu, et dont tucun des spectateurs n'a jamais songé à faire l'éloge en sortant de lacomé'Jie. *

2. Epitre Vil, ù Racine.

3. Pratique du théâtre, II, 7,

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