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20 CINNA

Aux yeux des critiques du xvii^ et du xviu« siècle, voici quel serait à peu près le plan suivi par Corneille :

1° Cinna conspire contre Auguste.

2° La, conspiration de Cinna est découverte.

3° Cinna reçoit son pardon. L'enthousiasme un peu factice de ces siècles monarchiques pour un conspirateur républicain peut nous étonner ; il ne doit point nous égarer. Cinna n'est pas et ne peut pas être le héros de la tragédie qui porte son nom. Il a du Romain la haine de la tyrannie, mais cette haine est pour le petit-fils de Pompée un héritage de famille plus qu'une conviction rai- sonnée. En vain il s'étourdit de grands mots et se grise de métaphores ; en vain il s'échauffe à froid : sous le luxe des mots sonores on sent le vide des pensées sérieuses. Toute cette rhétorique enflammée nous entraîne d'abord et l'en- traîne peut-être lui-même; mais c'est de la rhétorique. Nous nous en apercevons trop tôt: au lieu de voir en lui, avec Geoffroy, un monstre, un «jeune enragé, égaré par d'affreux principes « et don t le fan at isme p olitique a corrompu le beau naturel, nous devmoiîs" qu'il n^e*t-nu fond ni siTanalî^ que ni si enragé, et que cette sorte d'accès de fièvre républi- caine tombera bientôt. Amant d'Emilie, il épouse ses ran- cunes sans se rendre bien compte à lui-même du mal que lui a fait Auguste. Les autres conjurés n'ont sans doute en vue que le bien de Rome, le salut de la république et de la liberté, puisque le premier mot de Cinna éveille en eux une émotioD si profonde :

Au seul nom de César, d'Auçuste et d'empereur, Vous eussiez vu leurs yeux s enflammer de fureur, Et, dans le même iustànt, par un effet coctraire, Leur front pâlir de honte et rougir de colère'.

Lui, fait sa cour à Emilie, il sait distinguer à merveille entre lui et ces Romains obstinés, qui semblent, comme lui, dit-il, « s ervir une maîtresse. » Ainsi, c'est Emilie qu'il sert, e t n on pas la liberté. Si le succès de l'entreprise lui tient k cœur, c'est que de l'issue dépend la satisfaction de ses plus chers désirs. Au reste, son amour lui est tout, et le consolera même d'un échec :

Que Rome se déclare ou pour ou contre nous, Mourant pour vous servir, tout me semblera doux*.

��1. Acte I, se. m. 1. Ibidem*

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