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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/210

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36 CINNA

^ nous le sentons, elle hait encore plus Auguste qu'elle n'aime.- Cinna. Mais, en face de celui-ci, comme elle paraît grande! Au troisième et au quatrième acte, c'est elle qui soutient tout le poids de l'entreprise ; c'est elle qui relève son amant, quand il est près de succomber, tantôt ranimant son espé- rance par les caresses d'un langage fait pour séduire, tantôt réveillant sa fierté par ses apostrophes hautaines :

Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose*?

C'est elle qui écrase de son mépris Maxime , et lui fail sentir d'un mot tout ce qui lui manque pour la mériter •

Tu m'oses aimer, et tu n'oses mourir ^l

C'est elle enfin dont l'énergique persévérance paraît seule digne, jusqu'au cinquième acte, d'être mise en parallèle avec la grandeur croissante d'Auguste ; mais, au cinquième acte, enfin, elle fléchit elle-même, la dernière, étonnée, plus encore que maîtrisée, par la clémence inattendue de l'empereur. Elle s'était éu-mée contre toute autre chose que la bonté. Où elle espérait trouver un tyran, elle trouve un homme, et un grand homme. Le cinquième acte, c'est la rencontre de deux âmes héroïques, dont la plus vraiment héroïque subjugue et apaise l'autre. A la haine succède l'admiration, et qui sait si Emilie, aussi capable d'admirer que de haïr, et délivrée de l'obsession de la vengeance, n'en est pas comme soulagée?

Elle cède sans déshonneur, mais enfin elle cède, et son rôle ne saurait être le rôle essentiel. Ajoutons que par plus d'un côté il est vulnérable: car toutes les critiques de Voltaire ne sont pas injustes. Après avoir repoussé celles qui nous paraissent excessives, nous avons le droit de nous en appro- prier quelques-unes.

D'abord, il n'est pas fort vraisemblable qu'Emilie, orphe- line depuis tant d'années, n'ait pas songé plus tôt à venger son père, ou n'en ait pas plus tôt trouvé l'occasion. Voltaire insiste avec quelque brutalité sur cet « argent d'Auguste » qu'elle reçoit; mais il est vrai qu'elle le reçoit depuis long- temps sans murmurer; c'est beaucoup pour une farouche républicaine.

Puis, on l'a bien des fois observé avec raison, ce caractère est plus viril que féminin, et c'est à cette famille d'héroïnes cornéliennes que Racine faisait allusion lorsque, dans la pre- mière préface de Britannicus^ il raillait ces femmes qui don-

I. Acte III, 3C IV. I. Acte IV, se. T.

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