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INTRODUCTION 2T

nent des leçons de fierté aux conquérants. « Sauf Chimène et PaUîînë, îes deux plus touchantes créalions de Corneille, dit M. Nisard, les femmes de son théâtre y participent de la na- ture héroïque des hommes. Lui-même se vantait de préférer le reproche d'avoir fait ses femmes trop héroïques à la louange d'avoir efféminé ses héros'. » Ii ne faudrait pas exagérer ce reproche, ni confondre cette énergie vu'ile avec l'insensibilité; mais ce qui la caractérise, ce n'est pas seulement l'intrépi- dité du courage, c'est la hauteur de l'orgueil. Les vertus modestes et cachées sont inconnues à Emilie; elle étale avec une naïve sincérité son amour de la gloire.

Cet orgueil est.-il celui de la Romaine, de l'altière descen- dante des Arrie et des Cornélie? ou n'est-ce que l'orgueil inférieur d'une héroïne de roman, glorieuse de se faire mé- riter à ce point, et qui aimerait moins peut-être, si l'on avai* moins de peine à la conquérir? C'est un autre côté faible de ce caractère qu'on ne puisse répondre avec certitude à une telle question : car la Rom aine et l'héroïne de roman se fon- dent en une mêineligure à la fois romanesque el historique ; l'ïïnê'^st passionnée pouFla gloire en général, l'autre pour sa glaire en particulier,. Une Romaine, soit; mais une Romaine de la façon de Corneille, comme disait déjà Balzac; une Por- cie, mais la Porcie de Lucain; une héroïne, mais telle qu'on les aimait k Ihôtel de Rambouillet. Rien, au fond, dans ce caractère n'est en opposition directe avec l'histoire; car Emilie vit dans un temps où, « par une sorte de compensation à la décadence des caractères, la femme romaine avait pris le premier rang dans la famille et dans l'Etat 2. » Mais, au xvii« siècle aussi, les femmes n'étaient pas au dernier rang ; par l'action politique qu'exerce sa beauté et dont elle a con- science, par l'incertitude des règles morales qui guident sa conduite, dominée par des idées abstraites plus que par des sentiments, par l'emphase et la préciosité de son langage en certains moments, elle appartient à ce groupe d'illustres con- temporaines en qui Richelieu trouva ses plus redoutables adversaires, et qui, enthousiastes des grandes passions comme des grandes aventures, eussent volontiers dit en face, comme Emilie, au maître tout-puissant :

Si j'ai séduit Ginna, j'en séduirai bien d'autres 3 1

1. Il nous semble pourtant que La Harpe est trop absolu quand il écrit : « Elle* sont plus hommes que femmes, ou plutôt elles ont toutes l'esprit de Corneille. Il n'a point connu la dllférence de ton qu'exigent les convenances du sei'» cl celles du théâtre. » Oui est plus femme que Chimène ou Pauliae?

2. Tivier,£fù/o!>'e de la littérature française, i. Acte V, se. n.

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