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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/235

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de La Rochefoucauld est vrai de bien des mouvements populaires. En pleine ville de Rouen, l’on vit la populace ameutée piller et brûler les bureaux de perception, les maisons des agents du fisc ; celle du receveur général des gabelles tint deux jours, mais fut enfin emportée d’assaut.

Richelieu comprit qu’il n’avait rien à attendre de la justice du Parlement ; bien que les magistrats, effrayés d’excès dont on pouvait les croire responsables, eussent envoyé deux des leurs au ministre pour plaider la cause de Rouen, il résolut de frapper un grand coup. Le colonel Gassion, soldat énergique, marcha sur Avranches, où se tenait le gros des Va-nu-pieds. C’était le nom qu’ils tiraient de leur chef mystérieux Jean-Va-Nu-Pieds, « descendant direct, dit M. E. Fournier, du Jacques Bonhomme des temps féodaux et comme lui personnification terrible de la misère furieuse. » Ils s’étaient barricadés dans les faubourgs et s’y défendirent bravement, mais sans espoir. La plupart furent massacrés ; les autres furent pendus ou envoyés aux galères. Restait à châtier Rouen ; presque en même temps que Gassion, le chancelier Séguier y arrivait (2 janvier 1640), revêtu d’une autorité dictatoriale, et concentrant entre ses mains les pouvoirs judiciaire, administratif et militaire. Comme il était juste, le Parlement fut la première victime de ce magistrat ; il fut interdit, ainsi que la cour des aides ; le corps de ville fut dissous et remplacé par un commissaire royal [1] ; la ville elle-même, non seulement perdit ses privilèges, mais se vit, comme une ville conquise, frappée d’une contribution de guerre d’un million quatre-vingt-cinq mille livres, non compris l’arriéré des impôts, dont le payement immédiat fut exigé. Ce régime d’exception pesa sur Rouen pendant dix-huit mois !

« Aujourd’hui 7 janvier 1640, écrit un des commissaires extraordinaires qui accompagnaient Séguier [2], on a commencé justice en cette ville de Rouen par l’exécution de cinq séditieux, dont l’un, nommé Gorin, a été rompu vif, et les autres quatre pendus, après avoir eu la question ordinaire et extraordinaire, pour savoir les complices : ils ont été condamnés à ce supplice par Monseigneur le chancelier seul, sans aulres juges ni assesseurs, ni autre formalité que celle des informations, récolements et confrontations, sans avoir vu ni ouï les condamnés, et sans avoir donné d’autre arrêt

1. M. Dareste, dans son Histoire de France, dit même que Séguier voulait démolir l’hôtel de Ville, mais que Richelieu n’y consentit pas.

2. Bibliothèque nationale, coll. Dupuy, nos 548–550.