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que verbalement. » Quelle lugubre parodie des formes judiciaires ! quelle violation flagrante de toute justice ! Quarante- six bommes, peut-être innocents, furent condamnés ainsi à la roue, au gibet, au bannissement perpétuel. A certains juges qu'étonnait cette justice expéditive Séguier répondait « qu'il avait condamné ces malbeureux verbalement et militairement; qu'il considérait la chose comme si elle venait d'arriver et qu'ils eussent encore les armes à la main, auquel cas il était du service du roi, de son autorité et du bien public de faire des exemples et de passer par-dessus les formes ordinaires. »

Corneille a pu entendre cette réponse : avocat au siège de l'amirauté, il avait sa place au Parlement. A-t-il été de ceux que la justice de Séguier étonna, et qui osèrent manifester leur surprise? 11 fut plutôt de ceux qu'elle attrista, mais qui surent contenir leur tristesse indignée : ce pays qu'on rançonnait, qu'on couvrait de gibets et de roues, c'était le sien. Quoi d'étonnant à ce qu'un cri de patriotique douleur lui ait échappé, à ce qu'en face de l'implacable répression il ait fait appel à la clémence méconnue? Le contraire seul pourrait sembler étrange. Il est vrai que Corneille ne fut jamais un -homme politique, et que plus tard, en 1649, nommé procureur général des Etats de Normandie, en remplacement d'un magistrat frondeur, il ne joua qu'un rôle effacé. Mais autre chose est d'intervenir dans la politique active, autre chose d'être le témoin ému de ses péripéties, et de s'en souvenir malgré soi. Si grand que soit un poète, la réalité qui l'enveloppe de tous côtés s'impose à lui ; son génie la façonne à son gré, mais il ne saurait l'ignorer, non plus que la copier servilement. Elle est la matière, encore informe, d'où surgit sa création idéale. Veut-on soutenir que Corneille a prétendu donner une leçon à Richelieu et faire une allusion directe à la révolte de Rouen? L'assertion est douteuse. Mais se borne-t-on à croire que Corneille n'a pu tout à fait oublier des faits dont il devait être particulièrement touché? On a raison dans cette mesure. Pour bien comprendre le Cid et Polyeucte, il faut savoir quel vif intérêt s'attachait aux débats sur le point d'honneur et sur la grâce; pour bien comprendre Ciniia, comme Nicomède, il faut l'éclairer à la lumière de l'histoire contemporaine.

Voltaire écrivait au marquis de Ghauvehn ^ : « La politique est une fort bonne chose, mais elle ne réussit guère dans les

1. Bibliothèque nationale, coll. D^ipuy, n»» 548-5S0i t. Lettre du 9 octobre 176V