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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/243

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NOTICE 59

K Quelques poètes au grand collier, dit Scarron *, ont eu l'in- vention d'aller chercher dans les finances ceux qui dépen- saient leur bien aussi aisément qu'ils l'avaient amassé Je

ne doute point que ces marchands poétiques n'aient donné à ces publicains libéraux toutes les vertus, jusques aux mili- taires. >) Le même Scarron avoue que, de son temps, on ne fait guère d'ouvrages que pour le profit des dédicaces, mais que les dédicaces sont rarement aussi lucratives que l'es- pèrent les auteurs. Il en comptait, pour sa part, une douzaine dans ses œuvres ; la plus « heureuse » lui avait rapporté cent pistoles; mais ces bonnes fortunes étaient rares, et cinquante pistoles venant de Mademoiselle passaient pour une récom- pense inespérée ^. En désespoir de cause, il s'adressait « à très honnête et très divertissante chienne, dame Guillemette, petite levrette de ma sœur. » Il lui disait, avec une spirituelle ironie : « Encore que vous ne soyez qu'une bête, j'aime en- core mieux vous dédier mes œuvres qu'à quelque grand satrape, de qui j "irais troubler le repos; car, ô Guillemette, un auteur, le livre à la main, est plus redoutable à ces sortes de messieurs qu'on ne pense, et la vision ne leur est guère moins effroyable que celle d'un créancier. >> Après lui, Fure- tière devait imagmer un auteur dédiant son livre « à très haut et très redouté seigneur Jean Guillaume, maître des hautes œuvres de la ville, prévôté et vicomte de Paris ». Corneille, esprit fier, mais sans souplesse, était fort loin de

Professer ce scepticisme aimable, autant que peu sincère, â endroit de l'argent. Il souffrait, sans doute, d'être contraint à mendier ce qui eût dû être le fruit légitime de son travail ; mais où donc étaient, en 1643, les droits d'auteur? et qu'eût rapporté au poète sa tragédie, si elle n'avait été précédée de cette dédicace dont nous aimerions à la séparer aujourd'hui? 11 faut donc qu'il loue, et qu'il loue sans mesure ; car la louange délicate est un parfum trop subtil pour certains odo- rats. Or, on sait avec quelle gaucherie Corneille se tirait de ce pas difficile. Son discours à l'Académie est un chef-d'œu- vre de maladresse et de mauvais goût. Ici, il insiste lourde- ment sur la libéralité de Montoron ; il va jusqu'à comparer à Auguste ' — que l'histoire ne nous montre pas si généreux, mais qui, après tout, est Auguste — ce financier équivoque, bientôt ruiné par ses sottes prodigédités, et raillé de tous aus- sitôt que ruiné :

1. Œuvres burlesques.

2. Despois, Le théâtre français sous Louis X/V.

3. C'est aussi — chose singulière — la comparaison qui Tient à l'esprit do président Maynard, ce disciple affaibli de Malherbe.

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